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Orwell et Huxley
Lorsqu’on essaye d’approcher Orwell par ses critiques, on constate
qu’il est, souvent, opposé à Huxley. Plus précisément, on oppose 1984
au Meilleur des mondes, en soutenant que l’histoire a donné raison à
Huxley.
Comme on le verra, cette polémique n’est pas innocente. Elle repose
sur un parti pris idéologique. La controverse a d’ailleurs été alimentée
par Huxley lui-même. Dans le Retour au meilleur des monde, – un essai
analytique de son précédent roman -, Huxley compare la force de prédiction de
son œuvre avec celle d’Orwell.
Il écrit : Dans
l'ambiance de 1948, 1984 paraissait effroyablement convaincant. Mais après
tout, les tyrans sont mortels et les circonstances changent. L'évolution récente
en Russie, les derniers progrès dans les sciences et la technologie ont retiré
une part de sa macabre vraisemblance au livre d'Orwell…. La société décrite
dans le roman d'Orwell est continuellement en état de guerre, aussi le but de
ses dirigeants est-il d'abord, bien entendu, d'exercer le pouvoir, générateur
de grisantes délices, et ensuite de maintenir leurs sujets dans cet état de
tension croissante… en faisant croisade contre la sexualité (…)
[La société] qui est décrite dans Le Meilleur des Mondes est une société
mondiale dans laquelle la guerre a été éliminée et où le premier but des
dirigeants est d'empêcher à tout prix leurs sujets de créer; des désordres.
Ils y parviennent (entre autres méthodes) par la légalisation d'un degré de
liberté sexuelle (rendu possible par l'abolition de la famille) qui garantit
pratiquement les populations de toute forme de tension émotive destructrice (ou
créatrice). Dans 1984, l'appétit de puissance se satisfait en infligeant la
souffrance; dans Le Meilleur des Mondes en infligeant un plaisir à peine moins
humiliant. »
De ce point de vue, l’histoire semble avoir, effectivement, donné
raison à Huxley. Sous les apparences d’une pseudo-libération sexuelle, on a
détruit les familles. On a asservi les individus par le plaisir et les vices,
dans le but de les détourner de la connaissance et du débat public. En cela,
nous serons d’accord avec Huxley, lorsqu’il cite Jefferson :
« Si une nation compte être ignorante et libre, elle compte sur
ce qui n'a jamais été et ne sera jamais. ».
Toutefois, il serait injuste de soutenir qu’Orwell n’avait pas aperçu
les possibilités offertes par le principe de plaisir dans la manipulation des
foules. Dans 1984, il écrit : « Il existait toute une
suite de départements spéciaux qui s’occupaient pour les prolétaires de
(…) délassement. Là on produisait des (…) films juteux de sexualité. Il y
avait même une sous-section entière – appelée en novlangue, Pornosex –
occupée à produire le genre le plus bas de pornographie. Cela s’expédiait
en paquets scellés qu’aucun membre du Parti, à part ceux qui y
travaillaient, n’avaient le droit de regarder. »
Comme on l’observe, on ne peut se contenter d’une lecture
superficielle d’Orwell. Il faut le lire entre les lignes pour découvrir les
principes de sa sociologie. Dans un article précédent (Bastion n° 57, janvier
2002), je les avais mis en exergue. Il y en a quatre principaux : la
concentration des élites, l’abolition du passé, la
manipulation des masses et la perversion du langage. Or, ces
quatre principes éclairent la manière
dont notre société fonctionne et ses dérives totalitaires.
Pour sa part, Huxley n’avait pas perçu, aussi nettement, que la réécriture
du passé serait l’un des traits fondamentaux du totalitarisme européen de
type post-soviétique. Il est vrai que, dans son système, le conditionnement
des individus se fait dès la naissance par manipulation chimico-génétique et
par endoctrinement sous hypnose - l’hypnopédie.
Ces techniques n’étant pas, encore, disponibles nos gouvernants
doivent se contenter des méthodes classiques de contrôle par la désinformation
et l’abrutissement collectif.
Ces méthodes se font, comme l’avait prévu Orwell, de plus en plus répressives.
Elles comprennent tout un panel de sanctions allant de la perte de l’emploi
(lorsqu’il est public) à la confiscation de la propriété (sous la forme
d’amendes exorbitantes), voire à l’emprisonnement.
Il n’y manque que la torture. Mais, au rythme où les choses avancent,
la question ne tardera plus à être, à nouveau, posée aux criminels de
la pensée. En outre, le système n’a pas besoin d’avoir recours directement
à la torture pour faire régner la terreur physique. Il lui suffit d’exciter
la violence de ses nervis gauchistes, contre tel ou tel dissident, pour le
dissuader d’aller plus loin.
En ce sens, nous vivons bien plus dans le monde décrit par Orwell que
dans celui d’Huxley, même si les projections techniques de ce dernier sont
plus justes.
Néanmoins, la différence entre Huxley et Orwell n’est pas si grande
qu’on veut nous le faire croire. Dans Le meilleur des mondes, Huxley
aborde plusieurs thèmes communs à Orwell. Par exemple, au sujet de l’abolition
du passé, il écrit : « Le
Directeur s’adossa sur sa chaise en fronçant les sourcils. Il y a combien de
temps de cela ? fit-il en parlant à lui même, plutôt qu’à Bernard.
Vingt ans, je suppose. Vingt-cinq, plutôt. Je devais avoir votre âge…
Bernard se sentit extrêmement gêné. Un homme aussi respectueux des
conventions, aussi scrupuleusement correct, aller commettre un manquement aussi
grossier à l’étiquette ! Cela lui donnait l’envie de se cacher la
figure, de quitter la pièce en courant. Non pas que, personnellement, il trouvât
quelque chose d’intrinsèquement répréhensible dans le fait qu’on parlât
du passé lointain ; c’était là un des préjugés hypnopédiques dont
(s’imaginait-il) il s’était débarrassé. Ce qui l’intimidait, c’était
qu’il savait que le directeur désapprouvait cela, que la désapprouvant, il
avait été néanmoins entraîné à faire la chose défendue [parler du passé,
ndr]. ».
Plus loin dans le récit, Huxley ajoute que tous les monuments des
civilisations passées ont été abattus, la littérature brûlée et les musées
détruits.
On notera que la tension du récit du Meilleur des mondes est
entretenue parce que le héros,
Bernard Marx, n’est pas conforme. Il enfreint les règles non-écrites de la
société dans laquelle il évolue. Exactement comme Winston dans 1984.
Cela lui vaut plusieurs rappels à l’ordre qui sont autant d’occasions de
disserter sur le contrôle des élites : « M. Marx je ne suis pas du tout satisfait des rapports que je reçois
sur vous […] Il faut que mes collaborateurs soient au-dessus de tout soupçon,
et tout particulièrement ceux des castes supérieures. Les Alphas sont
conditionnés de telle sorte qu’ils ne sont pas obligatoirement infantiles
dans leur conduite émotive. Mais c’est là une raison de plus pour qu’ils
fassent tout spécialement les efforts voulus pour se conformer à la normale.
Il est de leur devoir d’être infantiles […] Ainsi donc M. Marx, je vous
avertis loyalement – la voix du directeur était vibrante d’une indignation
qui était à présent devenue entièrement vertueuse et impersonnelle, qui était
l’expression de la désapprobation de la Société même – S’il me revient
de nouveau que vous avez manqué… aux convenances… je demanderai votre
transfert à un sous-centre, de préférence en Islande. »
La ressemblance entre cette scène est ce qui se passe dans notre société
est frappante. Elle pourrait se dérouler dans n’importe quelle université ou
organe de presse, où quelque esprit hétérodoxe aurait l’intention de
traiter d’un sujet tabou. Quant à l’infantilisme, il est peu de dire
qu’il est encouragé par tous les moyens. Sans doute, parce qu’il s’oppose
à cette sagesse qui remettrait en cause les fondements de la polytyrannie
actuelle.
Huxley l’affirme : dans une société totalitaire, le non-respect
de l’orthodoxie est pire qu’un crime de sang : « Le non respect de l’orthodoxie menace bien
autre chose que la vie d’un simple individu : il frappe la Société même. »
Aussi, n’est-il pas étonnant de voir, dans le même temps, nos médias
condamner de toute leur force les opinions non-orthodoxes et disculper les
criminels de toute sorte.
A propos de l’abrutissement des masses, Huxley nous dépeint
un univers que nous connaissons bien : celui du bruit incessant, des
rapports impersonnels, des drogues qui épargnent la peine de penser par soi-même,
de la soumission aux modes les plus futiles.
Cette identité de thèmes avec Orwell renvoie à la question que nous
posions au début de cet article de savoir pourquoi on oppose les deux auteurs ?
La réponse tient, au fond, à leur grille de lecture respective. Le fait est
qu’Orwell, bien que socialiste à l’origine, s’est livré à une critique
rationnelle [donc de droite] des utopies de gauche. Rien de tel chez Huxley qui
situe son récit dans la tradition anti-techniciste. Le Meilleur des mondes
n’est ni stalinien, ni fasciste il est celui de l’industrie. Dans la pensée
d’Huxley les techniques déterminent une structure oppressive du pouvoir. Or,
cette idée est héritée, dans ses grandes lignes, de la sociologie marxiste.
C’est ce qui la rend conforme aux yeux de l’intelligentsia qui nous
manipule. Par ce biais, cette dernière peut encore critiquer le capitalisme
industriel occidental et récupérer Huxley à son profit.
L’article de l’ultra-gauchiste Ignacio Ramonet, paru dans le Monde
diplomatique d’octobre 2000 – Pitié, pour la condition humaine –
est, à ce sujet, très révélateur. Il tire de sa lecture du Meilleur des
mondes que : « L’américanisation
de la planète est achevée, tout y est standardisé. »
et aboutit à une conclusion politiquement très correcte : « Le Meilleur des mondes nous aide à mieux comprendre
la portée des risques et des dangers qui s’ouvrent devant nous quand, de
nouveau, de tous côtés des ‘’avancées scientifiques et techniques’’
nous confrontent à des défis écologiques qui mettent en péril l’avenir de
notre planète et celui de l’espèce humaine. »
Une telle conclusion n’aurait pas été possible au travers de 1984.
Car, Orwell donne la priorité aux institutions politiques sur
l’infrastructure scientifique. Ce n’est pas la science qui pervertit la démocratie,
c’est l’absence d’état de droit qui ouvre la voie à un usage
tyrannique des techniques. C’est pour cette raison, que nous le défendons
contre tous ceux qui y portent atteinte, car il est le seul et l’unique moyen
de garantir la liberté individuelle et de maîtriser le progrès.
Voir également à propos de George Orwell:
(Bastion n°76 de décembre 2003) |