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Logiques
de guerre
Chers
et fidèles lecteurs, il y a treize mois exactement (Bastion n° 71, mai 2003)
je vous donnais les raisons pour lesquelles je ne m’étais converti à aucun
discours relatif à la guerre en Irak. J’estimais, alors, que l’événement
était trop récent pour que l’on puisse prendre réellement parti.
J’indiquais, aussi, que j’avais d’une
certaine manière anticipé le conflit, dès avril 2000, en indiquant dans ces
colonnes que la raréfaction des ressources pétrolifères inciterait les
grandes puissances à s’en emparer par la force. Je vous livrais une autre prévision
qui entre temps s’est, hélas, confirmée : « Les Etats-Unis
seront peut-être plus épargnés que l’Europe, par les vagues de terrorisme
islamiste. Leur éloignement géographique des terres d’islam conduira au déplacement
des tensions civilisationnelles vers notre continent. »
Or, depuis le 11 septembre 2001, le continent-île des Etats-Unis n’a
pas été touché. Tandis nous avons connu la boucherie islamiste de Madrid.
Pour être totalement sincère, je dois vous avouer que lorsque je me risquais
à cette prévision, je pensais davantage à la capacité qu’auraient les
terroristes islamistes à se fondre dans les communautés musulmanes qui
peuplent le territoire européen qu’à sa proximité réelle avec les terres
du Prophète (PSL). Un je ne sais quoi d’islamiquement correct avait,
alors, retenu ma plume. Cependant, les faits ayant confirmé mon intuition[1],
j’ose vous la dévoiler rétrospectivement ; même si je sais que la
relation des faits est devenue condamnable par les tribunaux - dès lors
qu’elle est en contradiction avec l’idéologie officielle. Pour que mon propos soit clairement compris, je dois ajouter que je n’éprouve aucune satisfaction à voir les faits confirmer mes anticipations. Non ! Mon seul but est de montrer qu’il existe des dynamiques sociales qui conduisent à des résultats prévisibles. C’est ce qu’avaient compris, en leur temps, Alexis de Tocqueville, Bertrand de Jouvenel et Raymond Aron, pères fondateurs de la sociologie prospective. Leur pensée est, toujours, une source inépuisable d’inspiration critique. Elle éclaire bien mieux ce que nous vivons que l’intellectualisme crypto-marxiste de l’élite qui nous gouverne. A leur lecture, on découvre que non seulement il existe une logique de la guerre – une polémologie -, mais que chaque guerre a sa propre logique. Or,
la logique de la guerre en Irak est celle décrite par Samuel Huttington.
C’est celle du conflit de civilisation.
En cela, on peut affirmer que les échecs que subissent les Etats-Unis, dans
cette guerre, viennent d’une erreur d’interprétation quant à sa véritable
nature. La conception stratégique américaine est, toujours, inspirée par les
cadres mentaux hérités de la guerre froide. En effet, pour conquérir l’Irak
le Pentagone a appliqué l’équation suivante : supériorité matérielle +
supériorité technologique = victoire garantie. Apparemment, la première phase
du conflit leur donnait raison.
L’armée de Saddam Hussein n’a pas fait un pli face aux forces US. Leur
compte a été réglé en deux temps trois mouvements.
Là où les Américains ont fait un grave
contresens, c’est qu’ils ont confondu la manière dont on fait la guerre
avec le sens de la guerre. Or, la guerre ce n’est pas uniquement des chars,
des missiles et des satellites. C’est, plus fondamentalement, une question de
vie ou de mort. Une question qui relève de la logique du vivant. Du bio-logos
qui détermine tout polémo-logos. Chez
l’homme, la survie biologique n’est pas uniquement déterminée par la fécondité[2]
et la force brute. Elle est aussi subordonnée à la culture qui assure
l’adaptation d’un groupe social face à un environnement donné. Ceci
signifie que lorsque la guerre oppose des groupes culturellement proches et
lorsqu’il y a une victoire militaire claire de l’un des camps, la paix est
possible. Car, fondamentalement, le substrat civilisationnel peut survivre
au-delà de la défaite. Tel n’est pas le cas lorsque les valeurs des belligérants
sont radicalement opposées. On comprend, dès lors, que la victoire d’un camp
implique la mort sociale de l’autre.
C’est que ni Bush ni Rumsfeld ne semblent
avoir compris, puisqu’ils assuraient, encore récemment, que l’Irak se
rangerait comme l’Allemagne et le Japon dans le camp de la liberté et de la
prospérité.
Cependant, les situations sont incomparables. Faut-il, ici, rappeler que
lorsque les Américains sont arrivés en Allemagne, ils partageaient la même
religion, des racines communes et une langue proche – anglo-saxonne.
L’acceptation de la victoire par le vaincu était possible, parce que celui-ci
ne voyait pas son identité bio-historique menacée. Dans le cas du Japon, les Américains étaient, certes, confrontés à une civilisation très différente de la leur, mais d’essence polythéiste – donc spirituellement tolérante – et partiellement occidentalisée depuis l’ère Meiji. Surtout, les deux bombardements atomiques de Hiroshima et de Nagasaki avaient démontré aux Japonais qu’il existait un risque d’annihilation biologique totale s’ils ne se soumettaient pas aux valeurs des vainqueurs. Dans cette configuration, la culture du vaincu s’efface – ou s’effondre - pour assurer la survie biologique du groupe. Aussi terrible que cela soit à dire, on peut parler d’une méthode de soumission par le massacre. Les conquérants et les révolutionnaires de tous les temps – surtout les marxistes – l’ont pratiquée pour atteindre leurs objectifs de sujétion. Les exemples historiques ne manquent pas. On en citera deux qui décrivent parfaitement cette logique : la destruction de Bourges (Avaricum) par les Romains qui a été suivie de l’intégration culturelle des Gaulois à l’empire. Les massacres systématiques perpétrés par les Anglais lors de la révolte des Cipayes (1857-1859), lesquels leur ont assuré un siècle de domination supplémentaire sur l’Inde. Toutefois, on observera que dans le cas de l’Inde comme celui du Japon, les envahisseurs ont dû faire des concessions culturelles pour asseoir leur domination politique.
En Irak, le contexte est très différent. La
coalition anglo-américaine y fait la guerre au nom du Bien contre l’axe du
mal. Ceci exclut toute forme de destruction telle que le groupe attaqué se
sente menacé dans sa pérennité biologique. La probabilité, pour
l’occupant, d’être confronté à une résistance civilisationnelle était,
donc, quasi certaine. Or, c’est bien une résistance de cette nature qui
s’est mise en place, notamment dans le sud et la partie chiite de l’Irak.
Effectivement, si la révolte des Sunnites est
explicable par les erreurs commises par le proconsul Brenner[3],
celle des Chiites n’est compréhensible qu’à la lumière du conflit de
civilisation. Bien que délivrés de l’oppression sunnite, les Chiites se
sont, toutefois, rebellés contre leurs libérateurs. Sans doute peut-on gloser
sur l’importance des effectifs et la représentativité de l’Armée du
Mahdi, mais c’est oublier que seules les minorités les plus courageuses
agissent et qu’elles ne peuvent le faire que si elles sont soutenues par la
population civile. Quelle que soit l’ampleur de la rébellion, on doit
admettre que plusieurs milliers de Chiites ont rejoint l’imam Moqtada Al-Sadr
et que plusieurs centaines d’entre eux ont accepté de mourir dans des combats
dont l’issue fatale était certaine.
Pour saisir la profondeur de la résistance en
Irak, on peut se servir d’une analogie avec la seconde guerre mondiale. Ainsi,
l’on n’a pas vu en Belgique, pendant l’occupation allemande, des milliers
de jeunes gens prendre spontanément les armes et des villes entières se
soulever contre l’envahisseur. Il faut dire que la proximité de civilisation
était grande et le risque de massacre beaucoup plus élevé que dans l’actuel
conflit en Irak. Les nazis n’étant pas venus, comme les Américains, pour
notre bien. Par contre en Europe de l’est, où le racisme hitlérien menaçait
la survie du groupe slave, la résistance spontanée a été extrêmement
intense[4].
Très significatif est, dans cette perspective, le rapprochement, sans précédent,
opéré en Irak entre les Chiites et les Sunnites contre les Américains.
Celui-ci est un élément qui démontre que des groupes culturellement proches,
même ennemis, s’allieront contre un groupe qui menace leurs valeurs communes.
Ici, le ciment culturel commun c’est l’islam.
Quoi que l’on pense de cette religion, il ne
faut pas être un grand historien pour reconnaître en elle un principe de
soumission, de mobilisation des fidèles, de conversion et de conquête
territoriale. Ce qui faisait dire à Hitler en personne, lorsqu’il
regrettait l’appartenance du peuple allemand au monde chrétien :
Où sont les conversions en masse qui font le succès de l’islam ?
Et encore : les peuples régis par l’islam seront toujours plus
proches de nous [les nationaux-socialistes] que la France, par exemple, en dépit
de la parenté du sang qui coule dans nos veines »[5].
Les islamophiles apprécieront, sans doute, que les toutes dernières pensées
d’Hitler furent précisément pour la religion dont ils nous chantent les
louanges.
Or, l’un des canons du coran est de ne jamais
laisser une terre d’islam occupée par les infidèles – ce qui alimente,
d’ailleurs, toute la rhétorique guerrière de Ben Laden et consorts au sujet
de l’Arabie Saoudite. Ainsi, les Américains pensant faire main basse sur
l’or noir irakien, ont-ils allumé les prêches incendiaires des imams présumés
islamistes[6].
En allant trop vite dans leur besogne, les anglo-saxons ont oublié
l’antagonisme dont ils faisaient l’objet dans cette partie du monde depuis
plusieurs décennies. Là encore, citons Hitler en son testament politique
: « Tout l’islam vibrait à l’annonce de nos victoires. Les
Egyptiens, les Irakiens et tout le Proche Orient étaient prêts à se
soulever… Il y avait une grande politique à faire à l’égard de
l’islam. C’est raté. »
Un peu cyniquement, on serait tenté de dire que ce qu’Hitler a raté,
Bush junior est en passe de le réussir. Il a réuni les conditions d’une
confrontation prochaine entre l’Occident et cette partie du monde – quelle
que soit la forme qu’elle prendra. Dès lors, on comprend bien que la question
de savoir si les anglo-américains ont menti, ou non, sur la présence des armes
de destruction massive est relativement secondaire. L’erreur principale réside
dans l’intervention elle-même et non dans ses motifs qui répétons-le
n’ont rien à voir avec un quelconque devoir d’ingérence dicté par une
conscience humanitaire à géométrie variable. Dans ce domaine, s’il est une
conduite à suivre vis-à-vis des pays musulmans (comme de tous les autres),
c’est de ne n’intervenir qu’en cas d’agression caractérisée. Quant à
la guerre, elle doit être subordonnée à la nécessité de pratiquer ce que
nous avons défini comme le
contingentement
civilisationnel. Ainsi, pourrions-nous être d’accord (une fois n’est pas
coutume) avec les islamophiles utiles lorsqu’ils déclarent que nous n’avons
pas le droit d’occidentaliser et de démocratiser les pays musulmans par la
force[7],
à condition de ne pas arabiser et islamiser l’Europe par l’immigration
massive et la répression politique. C’est une lapalissade de dire que moins il y aura de contacts entre ces deux mondes, moins il y aura de conflits. Dans cette optique, la pire des erreurs commises en Irak, par l’oncle Sam, est d’avoir infligé toute une série d’humiliations culturo-sexuelles aux détenus de la prison d’Abou Ghraib pour en obtenir des renseignements. En effet, c’est le meilleur moyen d’attiser le conflit de civilisation. A moins que la méta-finalité de cette guerre soit, précisément, la recherche du clash civilisationnel dans l’espoir que l’Europe en voie d’islamisation certes, mais toujours concurrente, soit définitivement mise à genoux – par un attentat nucléaire à Bruxelles, par exemple. Mais cela, qui oserait l’imaginer ? Quoi qu’il en soit, cette guerre met en lumière toutes les contradictions de l’idéologie occidentale, tant dans ses variantes américaine qu’européenne. Du côté américain, on fait la guerre à un ennemi qui n’était pas une menace réelle : pas d’armes de destructions massives, pas de liens organisés entre le régime de Saddam Hussein et Al Qaida, pas de responsabilité dans les attentats du 11 septembre. On justifie la guerre au nom du Bien et on s’aperçoit que la guerre relève de logiques cruelles. On veut contrôler les ressources pétrolifères pour alimenter la machine économique : les prix du brut et les terminaux explosent. On mène une guerre contre le terrorisme, mais on suscite de nouvelles vocations par milliers en portant le fer en terre d’islam. On veut instaurer une démocratie en Irak et c’est une théocratie obscurantiste à l’iranienne qui se met lentement en place. Du côté européen, on refuse de désigner l’ennemi et de lui faire la guerre. Même lorsqu’il assassine, à Madrid, 200 innocents et en blesse plus d’un millier d’autres. On prend fait et cause contre notre allié sans s’apercevoir que nos adversaires civilisationnels nous rangent dans le même camp, celui des croisés et des roumis. Nos médias souhaitent et annoncent la défaite militaire des Etats-Unis, alors que les GIs contrôlent bien mieux la situation sur le terrain qu’on ne le dit [8]. Au nom de la démocratie, on impose la société multi-multi qui offre une base opérationnelle idéale pour tous les terroristes présumés islamistes et soumet notre politique étrangère au vote communautaire des adeptes de la religion d’amour et de paix. Alors direz-vous que fallait-il faire ? Dans le cas présent : s’abstenir et réserver les dizaines de milliards de dollars que coûtera cette guerre inutile au développement des énergies nouvelles – la fusion en premier lieu - qui mettront fin à la dépendance du monde occidental vis-à-vis du premier des miracles d’Allah[9]. Car, je vous le dis ô mes frères en Lotharingie, la bataille du pétrole est perdue d’avance. Ni les gesticulations militaires de l’empire, ni les manœuvres désespérées des lobbies n’ajouteront une seule goutte à cette ressource finie. Aussi, mieux vaut-il se préparer techniquement au choc énergétique inévitable. Prévenir que guérir. Ainsi parle la voix de la droite raison ! Charles Magne
[1] Puisque plusieurs dizaines de Marocains ont été arrêtés, ici et là, et que l’on sait que les attentats ont été , en partie, planifiés depuis Bruxelles. [2] Ce qui faisait dire à l’ancien président Boumediene que les Algériens envahiraient l’Occident par le ventre de leurs femmes. [3] Qui a démantelé les organes de sécurité de l’ancien régime au nom de la morale ouvrant, ainsi, la porte au chaos. [4] Il n’existait pas de porte de sortie pour les Slaves, par l’abandon de leurs valeurs. La guerre avait d’emblée une dimension biologique. [5] Testament politique de Hitler, notes recueillies par Martin Boorman, du 4 février 1945 au 2 avril 1945. [6] Nouveau terme de la novlangue pour désigner des terroristes d’origine musulmane. [7] Déclaration de Ben Chirac, lors du G8, 11 juin 2004. [8] En plus d’un an de guerre classique puis urbaine, il n’y a eu que 500 tués au combat, soit infiniment moins de pertes que dans les premières secondes du débarquement du 6 juin 1944 [9] Celui de faire couler principalement le pétrole dans les pays musulmans. Le second est la fécondité de leurs femmes. J’ai oublié le troisième. N’est-ce pas l’Omar Michel ?
(Bastion n°82 de septembre 2004) |