L'ISLAM
DES INTERDITS
Par
Anne-Marie DELCAMBRE
« L’islam
des interdits » de Anne-Marie Delcambre est un livre récent à
lire par toute personne qui s’intéresse à l’islam. Anne-Marie
Delcambre est docteur en droit, docteur en civilisation islamique, et
agrégée d'arabe classique. Elle enseigne l’arabe au Lycée
Louis-le-Grand à Paris et donne régulièrement des conférences sur la
religion islamique.
Selon Anne-Marie
Delcambre, il faut avoir le courage de dire – au risque de choquer –
que « l'intégrisme n'est pas la maladie de l’islam, il en est
l'intégralité ». les seuls « vrais musulmans » sont
les intégristes, parce qu'ils sont les seuls à suivre, à la lettre, le
texte sacré du Coran.
Elle voudrait que
l’on prenne conscience qu'il y a une complicité objective entre ceux
qui disent « ce n'est pas ça l'islam » parce qu'ils voudraient
que ce ne soit pas cela et les musulmans qui disent « il vaut mieux
que l'on dise cela » plutôt que de remuer ce qui gène ! Il règne,
selon elle, une hypocrisie généralisée, une sorte de politiquement
correct qui fait que l'on ne veut pas dire la vérité sur les textes du
Coran. Et pour appuyer sa thèse, elle analyse, en 17 courts chapitres,
les textes du Coran et des « 70 interdits de l’islam ».
Prudente,
Anne-Marie Delcambre accuse les textes fondateurs de l’islam et non les
musulmans! Ce ne sont pas, selon elle, les islamistes les coupables, mais
les textes qui leur permettent de l'être. Il en est ainsi du statut
discriminatoire des Juifs et des Chrétiens (dhimmitude), de l'appel à la
guerre sainte voire au meurtre, de la place des femmes, de la place
assignée au Prophète… En précisant bien qu’elle critique les textes
et non les musulmans, elle tente visiblement de se mettre à l’abri d’une
éventuelle accusation de « racisme ». Elle prend
notamment la défense de l’islamiste Tariq Ramadan, qui selon elle
n'aurait commis pour seul crime que le fait de vouloir appliquer
intégralement les textes sacrés de sa religion….
Lors de l’émission
« Arguments » du 11 janvier dernier sur la RTBF, elle a même
laissé entendre à Jean Rosoux qui l’interviewait, qu’elle avait dû
s’autocensurer pour pouvoir publier son livre...
Paru aux éditions Desclée de Brouwer en
octobre 2003: « L'Islam des Interdits » d'Anne-Marie Delcambre,
146 pages. ISBN : 2-220-05415-2. 14 euros |
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EXTRAIT:
S'agissant des textes fondateurs musulmans – le Coran et la
Sunna –, la question se pose de savoir si on peut s'autoriser une
interprétation nouvelle, laquelle ne s'est pas jusqu'ici exprimée en terre
d'Islam. En d'autres termes, est-il possible de lire la lettre de ces textes
selon les conditions qu'offre le paysage mental de notre temps?
Pour les savants traditionnels de l'Islam, la réponse est un
non catégorique. Ce serait une innovation blâmable (bid'a), une
hérésie!
Soheib Bencheikh, dans son livre Marianne et le Prophète1,
est honnête, lui, quand il écrit: « Les intellectuels se réclamant de la
confession musulmane répètent sans cesse que l'Islam est fraternité, paix et
tolérance. Ils ont certainement raison, mais ils n'ont aucun soutien théorique
qui permette d'appuyer la plupart de leurs affirmations. Les modérés veulent
embellir l'image de leur religion mais ce qu'ils disent de l'Islam ne traduit
qu'un souhait. Seule la version archaïque du droit musulman demeure sur le
terrain... offrant une vision globale des choses. Cependant son application dans
le domaine relationnel relève de la folie. » Bien sûr que certains
intellectuels musulmans voudraient que leur religion soit plus rationnelle ou
plus mystique, moins juridique. On songe au cri du docteur Dalil Boubakeur,
recteur de l'Institut musulman de la grande Mosquée de Paris: « Non!
l'Islam n'est pas une politique ! 2» Ce lettré rationaliste ne
veut pas voir « la foi encadrée dans le carcan du juridisme », dans un
enclos en quelque sorte. Il craint ceux qui se réclament du droit musulman avec
leur folie délirante. Il leur oppose l'Islam des philosophes, Avicenne,
Averroès, oubliant un peu vite que l'Islam des juristes a violemment combattu
ces philosophes. Pas seulement les juristes, le peuple aussi. Dalil Boubakeur se
sent évidemment proche, par son milieu et sa culture, de cet Islam des
philosophes. Mais n'en déplaise à cet aimable recteur, non! l'Islam n'est pas
seulement une foi, c'est aussi une loi. Et les juristes (fuqahâ) ont
toujours stigmatisé ceux qui n'avaient que le nom d'Aristote à la bouche et le
petit peuple de Bagdad vomissait ces apports culturels étrangers et suivaient
Ibn Hanbal. Parler de théologie sclérosée de l'Islam, d'archaïsme du droit
musulman, n'empêche pas que l'Islam juridique est bien vivant dans tout le
territoire musulman et que c'est même le seul Islam qui soit pratiqué. Les
intégristes ne sont pas des hérétiques par rapport au système traditionnel
de l'Islam. Ils veulent simplement que tout soit appliqué à la lettre. Or
comment les choses pourront-elles changer puisque le Coran est considéré comme
immuable et intouchable ? Le Coran en milieu musulman reste sacralisé et on est
loin du débat des philosophes mutazilites qui, dès le VIIIe siècle, posèrent
la question du Coran créé ou incréé.
Depuis le 11 septembre 2001, on répète que ce n'est pas
cela l'Islam, que le Coran est un message de paix et d'amour, qu'il s'agit là
d'une dérive politique, d'une maladie! Une mauvaise fièvre en quelque sorte!
Mais si le Coran était uniquement une parole de compassion, de douceur et de
pardon, valable pour tous et pour tous les temps, pourquoi ces versets
autorisant le talion, prescrivant le combat? Pourquoi ces prescriptions sur
l'amputation pour vol, la flagellation pour adultère? Pourquoi cette autorisation
de la polygamie, même accompagnée de mise en garde, pourquoi ces versets sur
la répudiation, même si
c'est le licite le plus haïssable? Pourquoi cette
différence de traitement entre l'homme et la femme dans l'héritage et le
témoignage? Pourquoi cette autorisation donnée à l'homme de frapper la femme,
même si c'est en dernier recours? Pourquoi cette sourate 8 sur le butin, les
dépouilles de guerre? Pourquoi ce rappel du massacre de la troisième tribu
juive de Médine? Pourquoi ces versets contraignants sur la tenue vestimentaire
des femmes? Pourquoi le verset sur la menstruation qualifiée de souillure?
Pourquoi tous ces versets stigmatisant les Juifs ? Pourquoi ces invectives
contre ceux qui sèment la corruption sur la terre ? Si le Coran ne mentionnait
rien de ce genre, si la vie du Prophète et son comportement ne contenaient
aucune trace d'appel à la vengeance, bref, si le Coran, la Sunna (imitation du
Prophète) étaient au-dessus de tout soupçon concernant ce qui est reproché
aux intégristes islamistes, comment ces derniers pourraient-ils justifier
l'imposition du voile à la femme, la polygamie, la peine de flagellation pour
la femme adultère, l'amputation de la main pour vol? Ces versets sont bien dans
le Coran. Ils n'ont jamais été supprimés et le musulman, même le plus
modéré, peut lire ces prescriptions. Il n'est pas juste, et surtout pas très
judicieux, de laisser croire aux non-musulmans que ce sont là pures inventions,
sans fondements religieux, de fanatiques musulmans, d'excités, de malades, de
fous de Dieu et ceci en Iran, en Arabie saoudite, au Soudan, en Libye, en
Indonésie, au Pakistan, en Algérie et aujourd'hui au Maroc.
La liste des pays s'allonge. La vérité, c'est qu'il s'agit
d'un retour aux textes fondateurs islamiques. Il faut avoir le courage de le
dire: dans le Coran comme dans la Sunna se trouvent certaines prescriptions qui
sont intolérables pour une conscience moderne. Le Moyen Age trouvait normal de
brûler les hérétiques. Le musulman traditionnel, intégriste, qui suit les
textes à la lettre, n'est peut-être pas toujours très loin de cette
mentalité médiévale. « Les islamistes ont une parole mortifère »,
déplore Latifa Ben Mansour3. Mais le discours des intégristes
s'appuie indiscutablement sur les textes fondateurs de l'Islam. Pourquoi
trouve-t-on si souvent chez les intellectuels musulmans ce regard mutilé,
hémiplégique, qui fait qu'ils ne voient pas que la Parole de leur Saint Coran,
l'exemple de leur Noble Prophète, sont bien à la base du comportement qu'ils
dénoncent chez ceux qu'ils qualifient d'islamistes, d’intégristes, de
frères musulmans, de « frères féroces ».
De même, en quoi Erdogan, l’ancien maire d’Istanbul en
Turquie, dont le parti islamiste « Justice et Développement » a obtenu 34 %
des voix, raflant 363 sièges sur 550 au Parlement, peut-il être vu par nos
médias bien indulgents comme un islamiste « modéré » alors qu'il
avait proclamé haut et fort: « Les minarets sont nos baïonnettes, les
coupoles nos casques et les mosquées nos casernes » ?
( Extrait de l’Islam des Interdits
de Anne-Marie Delcambre paru aux éditions Desclée de Brouwer en octobre 2003:
« L'Islam des Interdits » d'Anne-Marie Delcambre, 146 pages.
ISBN : 2-220-05415-2. 14 euros)
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Soheib Bencheikh
est le grand mufti (docteur de la loi musulmane) de la mosquée de Marseille. Il
s‘est opposé au Conseil français du culte musulman créé par Nicolas
Sarkozy, qui accorde une reconnaissance démesurée aux mouvements
fondamentalistes qu'il a toujours combattu !
Selon lui: «
le voile est une fausse route pour les jeunes filles (...), on peut être
musulmane et se promener tête nue du moment que l'on est habillé de façon
correcte et pudique (...) »
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Ahmad Ibn Hanbal
(780-855), fondateur de l'école juridique la plus rigoriste de l'islam sunnite
: « ne dire de Dieu que ce qu'en dit Dieu (dans le Coran) et son prophète
(dans la Sunna) ». Ibn Hanbal a incité le calife al-Mutawakkil (848-861) à
décréter la fin de l'ère de réflexion et d'interprétation du Coran (fermer
les portes de l’Ijtihâd). Sa pensée fut reprise par Ibn Taymiya(1263-1328)
puis Mohamed Ibn Abd el Wahhab (1703-1791), fondateur du wahhabisme diffusé
actuellement par l’Arabie Saoudite.
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Avicenne
(980-1037 ) de son vrai nom Abu Ali al-Husayn ibn-Abdullah Ibn-Sina, est
un médecin et philosophe iranien.
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Averroès
(Abú al-Walìd ibn Ruchd) est un médecin, juriste et philosophe. Juge
(cadi) de Séville (1169), grand cadi de Cordoue (1171), suspecté d’hérésie,
exilé en 1197 et décédé en 1198.
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Les mutazilites soutenaient que la raison
humaine est capable de faire la distinction entre le Bien et le Mal. Ils
se fondaient sur la philosophie grecque. Au Xe siècle, cette
vision fut déclarée incompatible avec la puissance et la volonté
absolue d’Allah: les vérités morales ne sont établies que par Allah
et ne peuvent venir à notre connaissance que par la révélation. Toute
approche rationnelle de la morale fut déclarée hérétique par
al-Achari. |
Latifa Ben Mansour, Docteur
d'État ès Lettres et Sciences humaines. Chargée de cours à Paris,
Psychanalyste et écrivain française d’origine algérienne, née en
1950. |
Recep Tayyip Erdogan,
né en 1953, actuel premier ministre turc, a suivi une formation d’imam.
Lorsqu’il était maire d’Istanbul, il a interdit l’alcool dans les
cafés et financé les associations islamistes avec les fonds publics.
Il a envoyé ses filles étudier à l’étranger pour leur permettre de
porter le voile interdit en Turquie. Il veut faire entrer la Turquie
dans l’Union européenne pour échapper au contrôle de l’armée qui
veille farouchement à la laïcité de l’Etat. Et pour réussir ce
défi, il est prêt à tous les compromis.
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Notes de bas de page
1. Éditions Grasset et Fasquelle, 1998, p. 146. 137
2. Éditions Desclée de Brouwer, 2003. p. 138
3. Latifa Ben Mansour, Frères musulmans, frères féroces. Voyage dans l’enfer
du discours islamiste, Ramsay, Paris 2002
|
(Bastion n°79 de
mars 2004)
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