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La véritable grâce ne meurt jamais

 

Lorsque j’ai accepté, au début de cette année, de prendre en charge la rubrique culturelle du Bastion, il était déjà trop tard pour que je célébrasse le vingtième anniversaire de la mort de Grace Kelly1. Au fil des mois, cette omission fortuite s’est transformée en regret. Aussi, en dépit des conventions nécrologiques me suis-je décidé à lui dédier cet hommage posthume. Mais, que mes fidèles lecteurs se rassurent, celui-ci n’aura rien de frivole. Il ne s’agit pas, ici, de sombrer dans la littérature de Gala ou de vanter les mérites d’un univers fait de paillettes et d’apparences.

Mon propos est purement esthétique. Il est de louer l’une des plus hautes valeurs de la civilisation européenne : l’amour du Beau. Or, Grace Kelly offre, à mes yeux, l’image de la beauté accomplie. Selon une idée qui aurait été chère aux peuples antiques, elle était le reflet de la perfection divine. C’est-à-dire de l’une des nombreuses formes du Bien.

En cela, peu nous importe de savoir quel fut son véritable ‘’moi intérieur’’ ou de connaître les menus détails de sa vie quotidienne. Ce qui compte vraiment, c’est qu’elle incarnât un principe qui la dépassait. En bonne justice, il faut, toutefois, reconnaître que son caractère semblait être en harmonie avec sa physionomie. Ses partenaires à l’écran, Cary Grant (La main au collet) et James Stewart (Fenêtre sur cour) ont salué son amabilité, son humour délicat et sa joie de vivre.

Mais, je ne l’écrirai pas assez, fut-elle la plus odieuse des créatures que cela ne changerait en rien mon appréciation esthétique. Car, ce qu’il faut contempler chez les mortels ce n’est pas leurs défauts mais la part d’éternité dont les dieux les ont gratifiés.

C’est une perversion des temps modernes de rechercher, dans les êtres d’exception, les travers communs à toute l’humanité. Sous prétexte « d’expliquer », on vise, en réalité, à détruire leur sur-nature, à ramener ce qui est précisément inexplicable au plus médiocre des dénominateurs. En quelques mots : à briser le symbole2.

Aussi est-ce une règle générale qu’il faut appliquer à tous les artistes, génies et héros, il ne faut les juger qu’à leurs œuvres. Elles seules méritent de durer. Et c’est parce qu’ils en ont été les auteurs qu’ils ont droit à nos louanges.

Ainsi, il ne fait aucun doute que du temps de Praxitèle, Grace Kelly aurait servi de modèle à la représentation de quelque déesse olympienne. Son visage aurait charmé le monde civilisé, alors qu’en ces temps barbares il tombe, presque, dans l’oubli. Il aurait rappelé qu’il existe une hiérarchie des formes qui n’est pas subjective. Car d’où vient l’impression de beauté ? De la mode et du désir sexuel, comme le prétendent certains sociologues et les psychanalystes ? Mais, alors, pourquoi est-on mû par un canon esthétique plutôt que par un autre ?

A y regarder de plus près, l’idée d’un relativisme du Beau est encore une supercherie des adeptes du nivellement universel visant à nier les inégalités naturelles.

Il suffit d’ailleurs de disséquer leurs arguments pour en mesurer toute l’ineptie. Ainsi, mettent-ils sans cesse en avant les rondeurs des vénus préhistoriques et des modèles de Rubens pour soutenir que l’on a alternativement honoré les femmes rondes et les femmes minces. Et que, par conséquent, il n’y a jamais eu de critère permanent du Beau.

Cependant cet argument ne passe pas l’examen critique. En ce qui concerne, les vénus préhistoriques, la communauté des archéologues est unanime pour dire que les hommes de ces âges reculés ne célébraient pas, dans ses représentations primitives, la beauté mais la fécondité par l’exagération des formes de la femme enceinte. Quant à la polémique minceur-rondeur, elle ne tient

pas un seul instant face à la logique de l’esthétique et à l’histoire des arts.

Du point de vue logique : une femme ronde et une femme mince peuvent représenter des aspects différents de la beauté, mais c’est toujours le Beau qu’on admire en elles. D’ailleurs, notez-le bien, aucun des modèles de Rubens ou même de Renoir ne présente des membres difformes ou des visages disgracieux.

Pour ce qui est l’histoire des arts européens, elle montre au contraire une grande continuité des canons esthétiques. De la période dorique à la fin de la chute de l’empire romain et de la renaissance italienne à la fin du XIXe siècle – soit plus de 15 siècles cumulés - on trouve une statuaire gouvernée par les mêmes harmoniques.

Les régressions esthétiques ne se sont produites que dans les phases d’effondrement politique et moral. Soit, au bas Moyen Age et à notre ère. C’est-à-dire dans des temps de barbarie et d’invasion. Dans ces périodes, les Européens ont collectivement perdu le goût de l’effort. Or, la représentation du Beau requiert le talent individuel, l’intelligence, la discipline d’un maître qui permettent d’accéder à la maîtrise des lois de la perspective sans lesquelles il n’est pas de peinture, de sculpture, d’architecture dignes de ce nom. Autant de dispositions qui vont à contre-courant de l’idéologie dominante.

Ce n’est donc pas un hasard si le discours politique actuel soutient le relativisme du Beau. Il y voit le moyen le plus assuré de faire triompher l’égalitarisme destiné à avilir la chair à élection.

La théorie psychanalytique selon laquelle la reconnaissance de la beauté s’explique uniquement par le désir sexuel semble dotée d’une plus grande force explicative. Ainsi, en suivant la logique freudienne, je devrais admettre que cet hommage ne serait qu’une pulsion sexuelle sublimée.

Soit ! L’argument est, a priori, recevable. D’ailleurs, à tout prendre, mieux vaut être attiré par la princesse Grace que par la première-en-vice Laurette.

A posteriori, le désir sexuel n’explique, cependant, pas la forme désirée en soi. De surcroît, la reconnaissance du Beau n’est pas toujours guidée par le cher Cupidon. Si l’argument vaut, par exemple, pour un tableau représentant quelque bacchante dénudée qu’en est-il d’une nature morte ? Certes, la psychanalyse vous expliquera qu’il y a toujours du sexuel la-dessous – et, la banane posée sur le plateau d’argent ? Vous l’avez vue ? Et le pinceau de l’artiste ? Vous y avez songé ? Et tout cela ne vous rappelle rien, hm ?

Peut-on, toutefois, considérer ces fumeuses extrapolations comme bien sérieuses ? En vérité, l’obsession sexuelle freudienne n’est que la transposition matérialiste de la méfiance biblique à l’égard de la sexualité. En cela, la perception psychanalytique de la nature humaine est moniste. Elle réduit l’homme à une seule dimension de sa personnalité – elle-même définie selon des critères erronés. Elle est, donc, totalitaire et convient parfaitement au projet politique de nos gouvernants, lequel est, précisément, de ramener le citoyen libre au rang d’esclave, fut-ce celui de ses organes reproducteurs.

En niant la complexité de l’esprit humain, le freudisme se rebelle contre la Nature. N’étant pas en mesure de la décrire scientifiquement, il tombe dans le travers systémique de toutes les pensées de gauche : il reconstruit le Monde à l’aune de ses fantasmagories. Ceci conduit, fatalement, à l’inversion des lois naturelles. Aussi, pour Freud et ses adeptes, n’est-ce plus le Beau qui inspire le désir, mais le désir qui crée la beauté.

Cela peut sembler un peu abstrait mais a des conséquences très pratiques en matière esthétique. Puisque la Beauté est un donné de la Nature et que la pensée marxo-freudienne dominante refuse l’ordre naturel, on va désapprendre toutes les règles de

proportion et d’harmonie qui conduisent à la représentation du Beau et à l’élévation des esprits. C’est pour cette raison que les étudiants en ‘’beaux-arts’’ se voient, actuellement, proscrire l’imitation des anciens et toute représentation figurative sous peine de sanction académique. De même, dans les musées de la décadence officielle, on placera des tas d’immondices au rang d’œuvres d’art.

Se faisant, on enseigne le chaos et on remplace l’instinct de vie par un instinct de mort. Car la Beauté est le fruit de la Vie. Peut-être, est-elle même la conséquence inéluctable de l’évolution qui hiérarchise les structures chimiques et biologiques de manière à permettre l’échange (des structures égales – donc identiques - n’ont rien à échanger) et à imprimer une progression à ce mouvement d’échange.

De cette façon, l’esprit humain est-il en mesure d’apprécier toutes les formes de la beauté harmonieuse. De la plus simple à la plus complexe. D’un ciel étoilé aux formules mathématiques de l’astrophysique. Du son harmonieux d’une source ombragée à un opéra de Mozart. Et pourquoi pas, le charme éthéré de Grace Kelly ?

Comme la connaissance de la Nature, la science de la Beauté3 peut s’oublier. Prenons-y garde si nous voulons demeurer des êtres civilisés porteurs d’une haute culture ! Telle est la leçon qu’il convient de tirer de cette méditation, dont Grace Kelly – vous l’aurez compris – aura été le prétexte.

Remercions la Providence d’avoir ramené cette enfant d’Europe sur la terre de ses ancêtres. D’avoir épargné à la femme les flétrissures d’une trop grande vieillesse et de nous avoir, ainsi, légué le souvenir éclatant de son éternelle beauté.

Alexandre Lignières

1. L’actrice est en effet décédée le 14 septembre 1982, à la suite d’un accident de voiture qui défraya la chronique mondaine de l’époque.

2. On observera que selon la tradition du christianisme hellène le symbole est ce qui unit - sum-bolos - alors que qui divise est le dia-bolos : le diable. Selon cette logique traditionnelle, il est juste de qualifier l’esprit post-freudien des temps modernes de diabolique.

3. Mais ne sont-ce pas au fond les mêmes ?

 

FILMOGRAPHIE DE GRACE KELLY

 

En, 1951 Grace Kelly tourne son premier film, Quatorze Heures, sous la direction d’Henri Hathaway. L’année suivante, elle joue avec Gary Cooper dans l’inoubliable western de Fred Zinnemann, Le train sifflera trois fois. En 1954, elle remporte un oscar pour son rôle dans Une fille de province de Seaton. Cette année-là, elle joue dans deux films d’Alfred Hitchcock : Fenêtre sur cour et Le crime était presque parfait. En 1955, Hitchcock lui confie, à nouveau, un premier rôle dans la Main au collet. En trois films, le maître du suspenses aura forgé durablement l’image de son actrice favorite : celle d’une beauté blonde et glaciale dont la distinction cachait un caractère affirmé. En 1956, La Haute Société, de Walters et Le cygne de Charles Vidor marquent la fin de la carrière cinématographique de Grace Kelly. Cette année là, elle y renonce pour épouser le prince Rainier III de Monaco.

 

(Bastion n°73 de septembre 2003)

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