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INTERVIEW DE François-Xavier ROBERT

  Secrétaire Général du FNB

Quand on lit votre curriculum vitae, on est immédiatement surpris par le nombre de vos diplômes. Avez-vous passé votre vie à étudier ?

Lorsque j’étais en humanités, j’étais un élève assez dissipé : je chahutais beaucoup, faisais le désespoir de mes professeurs et de mes parents, j’étais en rébellion permanente. Personne n’aurait cru que j’aurais pu réussir des études supérieures. Ma grand-tante, qui travaillait au musée du Louvre, aurait voulu que je devienne peintre : c’était sans doute la seule branche où j’étais doué.

Cependant, depuis mon plus jeune âge, je voulais devenir officier de carrière : je voulais servir et défendre mon pays. Pourtant rien ne semblait m’y prédestiner. Si ma famille a été très active dans la résistance contre l’occupant, il n’y avait pas de militaires de carrière dans la famille. A la surprise générale, j’ai réussi au premier coup le concours d’admission. A l’Ecole Royale Militaire, j’ai été un élève moyen. Mais, j’y ai appris la discipline et surtout à travailler.

Dès la sortie de l’ERM, je me suis inscrit à l’université. Je ne savais pas à quoi cela allait me servir, mais j’étais sûr que cela me servirait un jour. Cela a été plutôt mal vu par mes chefs et je n’ai bénéficié d’aucune facilité de service. Je devais prendre congé pour me rendre à l’université et pour passer mes examens. Je n’ai donc pratiquement jamais assisté aux cours et ai dû étudier par moi-même. Je me renseignais sur les bonnes étudiantes, et joignant l’utile à l’agréable, j’obtenais de photocopier leurs notes de cours : les filles écrivent mieux, sont plus soigneuses et plus régulières que les garçons.

Je saisissais chaque occasion à l’armée pour étudier : je portais mes lourds syllabus dans mon « bergham » et étudiais en manœuvre, dans la jeep, dans le C-130, et surtout chaque fois que mes collègues allaient faire la fête. Cela n’a pas toujours été facile : mon colonel me faisait chercher dans ma chambre au mess pour boire avec lui… On m’appelait le moine-soldat.

A l’université, ce n’était pas non plus aisé. J’avais des professeurs marxistes qui prétendaient que le marxisme était une science. J’ai dû étudier les concepts du matérialisme historique, assimiler les Grundrisse de Marx, les œuvres de Lénine, des auteurs comme Herbert Marcuse, Louis Althusser, Nicos Poulantzas et Antonio Gramsci. Bien que ne correspondant pas du tout à ma sensibilité, cela fut fort instructif. Inutile de préciser que comme militaire, je ne bénéficiais pas d’un a priori favorable, d’autant plus que les rares fois où je me rendais à des séminaires, je n’avais le plus souvent pas le temps de quitter l’uniforme… Cela ne m’a pas empêché d’obtenir des distinctions…

J’ai fait mes deux candidatures en droit en un an : j’avais planifié une seconde session. Mais, comme j’ai réussi en première session, j’ai décidé de présenter la seconde candi en septembre pour prendre de l’avance… Finalement j’ai réussi in extremis ma seconde candi en septembre, grâce à François Perin, qui m’avait d’ailleurs demandé si cela m’intéressait de devenir assistant. Lorsque je suis passé au cabinet de Jean Gol, j’ai dû interrompre mes études, car je n’y ai pas obtenu de congés pour présenter mes examens.

Plus tard, ce sont mes professeurs à l’Ecole des Administrateurs militaires qui m’ont encouragé à continuer le droit: le conseiller d’Etat Charles-Louis Closset et l’actuel commissaire général de la police fédérale Herman Fransen.

J’ai donc continué mes trois licences lorsque j’étais en service permanent auprès des forces britanniques en Allemagne. J’ai terminé ma cinquième année de droit au retour de ma première mission en Yougoslavie : je suis rentré en mai 93, mais cette fois, je n’ai obtenu mon diplôme qu’en seconde session.

J’envisageais de faire un doctorat en sciences économiques dans une université étrangère lorsque j’ai été contraint de m’occuper du FNB…

Vous êtes donc un intellectuel ?

Non, je n’ai jamais été un intellectuel. J’aime les choses concrètes. Je prenais beaucoup de plaisir à travailler sur des moteurs. Les systèmes de transmission des chars me passionnaient. Maintenant, je monte des ordinateurs pour me distraire. Je n’ai jamais été aussi heureux que chez les paras ou lors de mes missions en Ex-Yougoslavie. Ce qui me déprimait le plus, c’était la routine administrative.

Comment se fait-il qu’un jeune officier des paras ait été affecté au cabinet du vice-premier ministre Jean Gol ?

J’avais fait à l’université un mémoire de sciences politiques sur la bombe à neutrons, sous la direction de l’ancien ministre Pierre Harmel et du général Pierre Cremer, chroniqueur militaire à la Libre Belgique et commandant de l’Ecole de Guerre. La Défense Nationale a donc utilisé mes compétences dans le cadre du déploiement des Euromissiles. J’ai été amené à préparer un dossier complet sur ce sujet pour Jean Gol. Il m’a alors demandé de travailler pour lui. J’ai donc eu comme chef de cabinet l’actuel ministre de l’Intérieur Antoine Duquesne, comme collègue notre ministre des Finances Didier Reynders et comme adjoint l’ancien ministre-président de la région Bruxelloise Jacques Simonet. Bien-entendu, tous sont maintenant fort gênés de me connaître. Pour ma part, je suis assez satisfait de savoir que j’ai probablement joué un rôle important dans la décision de déploiement des missiles de croisière en Belgique en 1985.

Au cabinet, je n’ai pas effectué que des tâches intellectuelles : j’ai aussi participé activement à la campagne électorale de Jean Gol. J’ai été agressé par une dizaine de socialistes qui m’ont envoyé deux mois à l’hôpital. On a dû me faire de la chirurgie esthétique tellement mon visage était abîmé. J’en ai d’ailleurs gardé une invalidité permanente pour laquelle je n’ai jamais été indemnisé : mes agresseurs ont été acquittés par la Cour d’Appel. L’un d’eux était policier à Seraing!

Mon passage au cabinet du vice-premier ne m’a pas valu que des amis. C’est moi qui ai fait nommer général le chef de Cabinet de la Défense nationale : au lieu de m’en être reconnaissant, il m’en a toujours voulu de savoir comment cela s’est décidé… De plus, je donnais mes avis à mon ministre en toute indépendance, sans tenir compte de la hiérarchie militaire. J’ai ainsi obtenu une prolongation du service militaire motivée par la baisse de la natalité, contre l’avis du ministre de Donnea, qui redoutait l’impopularité de la mesure.

C’est à l’époque que j’ai fait la connaissance de MB, que j’ai introduite auprès de Jean Gol.

Vous avez été également casque bleu...

Oui, la première fois en 1992, j’étais affecté à Rheindahlen, en Allemagne, lorsque j’ai été prévenu par téléphone un dimanche matin, que je partais pour six mois le mercredi suivant… J’ai été nommé responsable des finances pour toute l’opération en Bosnie-Herzégovine. Je disposais d’un budget de 598.000.000 USD et je participais à toutes les réunions de l’Etat-Major. Je ne suis pas resté dans mon QG, près de Sarajevo, mais ai fait de nombreux déplacements sur le terrain, des enquêtes financières, j’ai retrouvé 5.000.000 de couronnes danoises perdues dans une banque de Prijedor et ai été impliqué dans des aventures rocambolesques. Ce fut une des plus belles périodes de ma vie. Mes chefs avaient demandé la prolongation de ma mission, mais un bureaucrate belge m’a obligé de revenir…

Lors de ma seconde mission en 1996, j’ai remplacé un colonel BEM des Chasseurs ardennais relevé de son commandement, comme chef de corps, et j’ai exercé, en cumul, les fonctions de contrôleur financier. Il y avait en effet des tas de problèmes de fraude et des trafics de cigarettes. J’ai dû renvoyer mon commandant en second en Belgique, Le Cdt Paulissen, dossier pénal à la clé, parce qu’il était impliqué dans des trafics avec la firme Peiffer. Deux jours plus tard, il était reçu au cabinet du ministre Poncelet...

Je crois que je suis tombé dans un piège : ou bien je mettais fin aux trafics et je me mettais tout le monde à dos ou bien je fermais les yeux et je devenais complice. Deux détails me confirment dans cette idée :

Aucune mesure n’était prise par le commandement pour remédier aux trafics que j’avais été chargé d’arrêter. Il a fallu la visite du général Guy Bastien pour que des mesures radicales soient enfin prises.

Certains officiers avec qui j’ai eu des heurts ont été promus et placés dès mon retour dans mon comité d’avancement ! L’un d’eux avait fait réaliser durant des mois, au frais du contribuable belge, des travaux par la compagnie génie de son bataillon au profit du chef de la mafia locale…

A mon départ, j’ai été remplacé par deux officiers, l’un comme chef de corps, et l’autre comme administrateur militaire : c’était les deux officiers les plus malhonnêtes que je connaissais. L’administrateur militaire était impliqué dans une histoire de faux à Moscou et a eu le choix : me remplacer, avant d’être mis à la retraite, ou être mis à la porte de l’armée…

 

Vous êtes officier BAM. Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi avez-vous suivi cette orientation ?

 

BAM signifie Breveté Administrateur Militaire. Il existe trois brevets supérieurs à l’armée : BEM (Breveté d’Etat-Major), IMM (Ingénieur du Matériel Militaire) et BAM. Pour devenir BAM, il fallait présenter un concours, puis suivre deux lourdes années de cours post-universitaires. C’est ainsi que j’ai eu des professeurs comme Paul Kestens (ULB-Dulbea), Françoise Thys-Clément (à l’époque recteur de l’ULB), François Tulkens (UCL), Yves Petit (BBL), Charles Van Wijmeersch (FUNDP) ou Rik Van Aerschot (Président de la VUB)… J’avais présenté le concours d’admission, car j’avais été sérieusement blessé à la colonne vertébrale, lors d’un accident de service. J’ai été reçu premier, puis j’ai préféré tenter la filière BEM. Mais le commandement m’a imposé de suivre BAM. Finalement, cette formation s’avère bien plus utile que BEM pour une carrière politique : j’ai reçu une excellente formation en politique économique, en finances publiques et en droit budgétaire. Lorsque j’ai obtenu mon brevet avec distinction (15/20), le général L. Pirotte, lui aussi para-commando et BAM, a vu en moi un successeur potentiel. Il m’a fait suivre son propre cursus : fiscal officer à NORTHAG/TWOATAF, puis direction des finances de la Force Terrestre, où j’ai immédiatement été placé en fonction de lieutenant-colonel. Je dois avouer qu’il n’a pas apprécié que je m’engage au FNB.

 

Comment êtes-vous arrivé au FNB ?

 

J’avais fait la connaissance de MB lorsque j’étais au cabinet de Jean Gol. En 1994, à mon retour d’Allemagne, elle m’a fait part de son désir de se lancer en politique. J’ai essayé de l’en dissuader : mais peine perdue, elle ne m’a absolument pas écouté. Je pensais que c’était une vie qu’elle ne supporterait pas très longtemps. Après avoir sondé Jean Gol, puis le Vlaams Blok, elle s’est lancée en politique en 1995. Immédiatement, elle s’est trouvée en difficulté. J’ai donc commencé par l’aider, et malgré moi, je me suis retrouvé de plus en plus impliqué au FNB.

J’ai toujours été un homme de droite, mais je n’ai jamais été raciste : j’ai toujours été extrêmement courtois et amical avec mes collègues d’origine extra-européenne. J’ai même largement aidé un collègue rwandais, candidat BAM, le commandant Théophile Gakara, à faire son mémoire sur le prix du café…

C’est surtout en Bosnie que j’ai pris conscience des problèmes posés par la société multiculturelle, et le danger représenté par l’islam. C’est par la réflexion rationnelle que j’ai établi mes convictions, non par des émotions ou des sentiments.

Mon implication progressive au FNB m’a aussi convaincu que notre système politique relève plus de la flibusterie que d’une véritable démocratie.

Lorsque Mme MB a décidé de jeter le gant, des militants m’ont supplié de ne pas les laisser tomber. Mon sens du devoir a fait le reste…

Au FNB, j’ai appris à fréquenter des franges entières de la population, dégoûtées de tout, laissées pour compte par la politique, et totalement hostiles à notre système politique. En les écoutant, j’ai ressenti le besoin de leur rendre espoir, de calmer leur colère, de les empêcher de commettre l’irréparable. Et pour cela, je ne vois qu’une méthode, changer les choses ! C’est un combat de longue haleine. Il sera dur et éprouvant. Mais, je ne peux pas imaginer ne pas le gagner.

J’étais entré à l’armée pour défendre mon pays : je le défends désormais autrement, et j’en suis persuadé, beaucoup plus utilement.

Propos recueillis par G.D

C.V. François-Xavier ROBERT

(Bastion n°69 de mars 2003)

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