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La Question d'Orient Ce qui, dans les manuels d'histoire, était appelé la question d'Orient a empoisonné l'histoire et la politique de l'Europe durant des siècles. Après une accalmie due à la disparition de l'empire ottoman et son remplacement par une république laïque, la voilà qui se manifeste à nouveau. Monsieur Valéry Giscard d'Estaing vient à ce sujet de mettre les pieds dans le plat en déclarant en public, aussi simplement qu'une petite tierce à la belote, que les Turcs n'étaient pas des Européens. Aussitôt après, le président du conseil français a dit aux journalistes que ces propos, bien qu'ayant selon toute apparence été mûrement réfléchis, n'engageaient que son auteur. Réaction bien modérée pour une affirmation qui relève purement de l'hérésie vis à vis du catéchisme de la pensée correcte. Il est bien entendu impossible de traîner un ancien président de la république, qui en outre occupe de hautes fonctions au niveau européen, devant les tribunaux du chef d'incitation à la haine raciale ou autres accusations ubuesques; et il est difficile de le faire passer pour irresponsable. Mais si vous ou moi avions crié la même chose urbi et orbi, nous aurions été dûment poursuivis, le MRAX se serait constitué partie civile et nous n'en serions pas sortis sans de copieuses amendes et de généreuses indemnités à verser. J'exagère à peine! On dit qu'avec l'âge, la vertu vient aux filles. Avec le temps, la clairvoyance viendrait-elle à certains hommes politiques? Car enfin, que je sache, il n'y a pas d'élections en vue en France de ces temps-ci et par conséquent, nulle utilité urgente de faire pareille déclaration fracassante. Quand les cavaliers d'Ertogrul, qui venaient du fond de la steppe asiatique, se sont installés en Anatolie en 1288, jetant ainsi les bases du futur empire turc, ils ne s'imaginaient certes pas que plus de 700 ans plus tard, leurs descendants seraient toujours à l'origine de prises de position variées dans tous les cénacles politiques d'Europe et même d'ailleurs. Lorsqu'ils ont terminé de s'installer dans les riches terres de l'Asie Mineure, ils se sont lancés à la conquête des terres voisines. Et on a commencé à entendre parler des intrépides cavaliers turcs et de leurs frères d'armes les fanatiques janissaires. Brandissant l'étendard vert du prophète, ils ont commencé à soumettre les rivages de la Méditerranée. En 1453, Byzance, l'ancienne Constantinople, capitale de l'empire grec qui a succédé à l'empire romain d'orient, est prise par le sultan et devient Istanbul. Symbole suprême, l'église Sainte-Sophie devient une mosquée. Le cœur même de la religion orthodoxe, la deuxième Rome, est entre les mains des guerriers d'Allah. Un important bastion culturel, politique et spirituel de l'Europe chrétienne a disparu. En 1517, le sultan, qui détient déjà les pouvoirs civils et militaires, devient calife, c'est à dire successeur du prophète et donc commandeur des croyants. Il détient dès lors en plus l'autorité religieuse, ce qui en terre d'islam est considérable. Il la gardera jusqu'à l'ultime déposition du dernier chef de l'empire turc en 1924. Si vers 1550, c'est à dire à peu près au moment de l'abdication de Charles-Quint, nous partons des rives orientales de l'Adriatique, soit des côtes de la péninsule balkanique, et que nous faisons le tour de la Méditerranée par l'est et le sud, jusqu'en Algérie nous sommes dans l'empire turc ! Celui-ci englobe donc, en termes de géographie contemporaine, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, Palestine, Israël, Liban, Syrie, Irak, les côtes de la péninsule arabique, une partie de l'Iran, Arménie, Syrie, Turquie, tout le Caucase, les rives nord de la mer Noire et de la mer d'Azov, Moldavie, Roumanie, Hongrie, Yougoslavie, Grèce et une partie de l'Autriche! C'est gigantesque! Il ne reste à l'Europe chrétienne comme côtes dans cette région que celles d'Italie, de France et de la péninsule ibérique, encore celle-ci ne s'est-elle débarrassée des Arabes que récemment. A partir de cette date, heureusement pour nous, la puissance ottomane va s'essouffler. Les sultans qui vont se succéder n'auront plus l'envergure ni l'autorité de leurs prédécesseurs. Petit à petit, le régime va même entrer en putréfaction. Istanbul va mendier des crédits de plus en plus nombreux à l'Europe. Pour cela, l'empire turc abandonnera des pans entiers de son économie, de son autorité politique, à ses créanciers de Londres, de Paris et de Berlin. Il va devenir ainsi ce qu'on a appelé l'homme malade. En 1914, il part en guerre aux côtés des puissances centrales. Le 25 avril 1915, les forces franco-anglaises débarquent sur la presqu'île de Gallipoli, c'est-à-dire dans les Dardanelles. Le hasard veut qu'ils aient en face d'eux, côté turc, un des rares généraux qui aient la volonté et les capacités nécessaires pour leur tenir tête: un certain Kemal Pacha. Avec ses troupes mal équipées et insuffisamment armées, il va repousser les alliés en une bataille défensive acharnée. Le 9 janvier 1916, le sort en est jeté, le cuirassé Prince George emporte les derniers soldats de l'arrière-garde des forces de Sir Ian Hamilton. Mais la défaite turque est inévitable: le 30 octobre 1918, l'armistice de Moudros met fin aux hostilités. L'empire est fracassé. Le traité de Sèvres, le 10 août 1920 ne laisse plus sous l'autorité directe du sultan qu'une fraction de la Turquie actuelle. De larges portions du territoire de l’Asie Mineure sont occupées par les Grecs, les Anglais, les Français et les Italiens. L'homme malade d'avant le début de la guerre agonise. Kemal Pacha, qui devient Mustapha Kemal, n'accepte pas cet état de choses. Patriote ardent, doté d'une énergie indomptable et d'une volonté de fer, il va réussir le tour de force incroyable de faire partir les troupes d'occupation et d'entamer une longue guerre contre les Grecs, qui occupent toujours l’Anatolie, de les battre et d'obtenir leur départ à l'armistice de Moudania le 11 octobre 1922. Pour le Turc moyen, la guerre, qui l'avait opposé une fois de plus aux puissances chrétiennes, avait duré huit ans! Peu après, le sultanat puis le califat étaient supprimés. Mustapha Kemal allait faire de la Turquie une république laïque, forte, en développement économique. Celui qu'on appelait le Ghazi meurt le 10 novembre 1938. Ses successeurs de ces quelques dernières années, qui se réclamaient cependant de son héritage, se sont distingués par l'incompétence et la corruption. Et ce qui devait arriver arriva: dans le droit fil de l'expansion actuelle de la religion de Mahomet, un parti islamiste, réputé modéré, est au pouvoir à Istanbul. Atatürk doit se retourner dans sa tombe à Ankara. La Turquie risque de retourner près d'un siècle en arrière. Aujourd'hui, c'est donc moins que jamais le moment de lui ouvrir les portes de la communauté européenne. Et Giscard avait raison. De toutes manières, durant 350 années, la Turquie a été l'ennemie de l'Occident chrétien. Cela lui laisse un passé d'éternel adversaire que renforce encore aujourd'hui son orientation islamique: nous savons d'expérience que lorsque, de nos jours, un parti de cette tendance met quelque part la main sur les rênes du pouvoir, il ne les lâche plus. Devant cette perspective, une seule conclusion s'impose: la place de la Turquie n'est pas dans l'Europe. Sévignac
(Bastion n°67 de Janvier 2003) |