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Le pari de l'Euro

 

L’Euro est dans nos poches. L’Euro est paré de toutes les vertus et va résoudre tous les problèmes. Son introduction serait un succès, si l’on en croit la propagande incessante diffusée par nos médias subventionnés. Mais pouvait-il en être autrement : personne n’a eu réellement le choix. Et à long terme, quel est son avenir ?

 

Un Euro démocratique ?

L’Euro est directement issu du traité de Maastricht[1]. Ce traité n’a fait l’objet d’un référendum que dans  trois états[2]. On peut dire qu’une très large majorité de la population européenne ignore totalement le contenu et les implications de ce traité. Celui-ci a été, le plus souvent, ratifié par les états membres après des débats très succincts, voire de pure forme. L’engouement actuel de la population pour la nouvelle monnaie ne préjuge en rien d’un choix rationnel.

 

Le coût social de l’Euro

L’Euro a nécessité durant dix ans des politiques d’austérité extrêmement dures. Tous les pays candidats à l’Euro ont été, de facto, contraints d’arrimer leur monnaie au Deutsche Mark. Ceci s’est traduit par une surévaluation monétaire, qui s’est payée cher en termes de compétitivité. De plus, la réunification allemande a nécessité d’énormes levées de capitaux, et a poussé les taux d’intérêts à la hausse. Les politiques économiques ont été durant dix ans exclusivement orientées vers la réduction des déficits publics et vers l’austérité, en maintenant des taux d’intérêts anormalement élevés. Certes, il s’imposait de mettre de l’ordre dans les finances publiques, mais ceci s’est fait en dépit des exigences de la conjoncture. Les objectifs de l’emploi, de compétitivité ou de lissage conjoncturel ont été purement et simplement oubliés, ce qui a entraîné de nombreuses faillites d’entreprises et des millions de pertes d’emploi.

On dit que l’Euro introduit une meilleure visibilité des prix. Cela sera certainement vrai à terme. Mais cette transparence portera aussi sur les salaires : la Belgique, où les coûts salariaux sont particulièrement élevés, risque d’en payer le prix fort. De nouvelles délocalisations sont à craindre.

 

Autres coûts de l’Euro

L’introduction de l’Euro dans les entreprises a entraîné des coûts non négligeables, qui varient bien entendu en fonction des secteurs d’activité. Les grandes entreprises sont mieux outillées que les PME pour ce faire. Pour les petits commerçants, ces coûts (caisses enregistreuses, balances, adaptation au nouveau format des pièces, changement d’étiquettes…) peuvent se chiffrer en centaines de milliers de francs. Ils ne sont que rarement pris en charge par les pouvoirs publics.

En dépit des promesses de nos gouvernants, certaines allocations sociales ont été arrondies à la baisse, tandis que de nombreux prix ont été arrondis à la hausse. Selon une enquête de Test-Achats portant sur 1.500 produits, on relèverait une hausse des prix de 7%. D’autres pays de l’Union Européenne connaîtraient une hausse beaucoup plus importante encore.

On a vanté l’intérêt de l’Euro pour la stabilité des taux de change : l’évolution du cours du dollar depuis 1999 démontre le contraire. L’Euro a perdu quelque 30% de sa valeur en trois ans ! Et il en est de même pour notre épargne.

 

L’avenir de l’Euro

Contrairement à la Federal Reserve américaine, la Banque Centrale Européenne a pour seul objectif la lutte contre l’inflation[3]. Elle ne dispose que d’une arme, les taux d’intérêts à court terme. Elle n’est pas habilitée à injecter des liquidités dans le circuit financier en cas de crise monétaire. La BCE n’a donc, en principe, pas de rôle à jouer dans la politique économique : cette dernière serait laissée aux états membres.

Or l’Union Européenne n’est pas une économie homogène : l’Allemagne est actuellement en récession, tandis que d’autres sont encore en phase de croissance. Les structures productives des états restent très différentes et ne tendent guère à la convergence, au contraire. L’hétérogénéité des systèmes fiscaux, mais surtout les rigidités réglementaires et administratives constituent évidemment des obstacles majeurs à une convergence économique. Une harmonisation n’est pas pour demain, et elle risque de se payer très cher au niveau de certains pays, dont la Belgique[4].

Si de telles divergences se perpétuent dans le temps, la situation risque de devenir rapidement intenable. L’adoption de politiques adaptées aux conjonctures économiques nationales risque de mener à de graves tensions au sein de l’Union Monétaire, et il n’est pas certain que l’Euro y survivra à terme. Par contre, la convergence des politiques économiques exigée par l’Euro peut mener à l’effondrement de certaines économies. L’exemple de l’Argentine qui avait lié le Peso au Dollar US, envers et contre tout, en est un exemple extrême.

L’élargissement inconsidéré de l’Europe à des économies faibles risque de compliquer la donne et de rendre le pari encore plus difficile à tenir.

 

En termes de démocratie, on peut affirmer que la politique économique européenne se lance dans le brouillard et risque d’échapper à tout contrôle démocratique. On se dirige insensiblement vers un centralisme économique de fait, dans les mains d’obscurs cénacles de technocrates de la finance. Un certain monétarisme occulte de plus en plus les aspects démocratiques et sociaux.

 

Conclusion

L’introduction de l’Euro s’est faite indépendamment de la volonté populaire. Elle repose sur un pari dangereux, qui s’est payé, et se payera probablement, cher en termes de récession et de chômage. Le coût réel n’en a jamais été évalué. Les Europhiles inconditionnels veulent faire de l’Euro un levier pour imposer leur conception de l’Europe. Ce serait bien beau, si on savait de quelle Europe il s’agit, et s’il y avait eu un réel débat démocratique. Mais ne s’agit-il pas d’un vaste marché économique et financier dans lequel les multinationales régneront en maître, plutôt qu’une union politique capable de servir de contrepoids à d’autres grandes puissances ?

Lors de l’instauration du marché unique, on nous avait promis monts et merveilles en terme de croissance économique. C’est le contraire qui s’est produit. Espérons que cette fois, les promesses se réalisent. Sinon le réveil risque d’être dur.



[1] Traité du 10 décembre 1991, entrée en vigueur retardée au 1er novembre 1993.

[2] Danemark 50,7% de non, puis après un second référendum 56,8% de oui, Irlande 69% de oui, France 51,05% de oui. Par contre, le refus de l’Irlande, seul pays à avoir organisé un référendum, de ratifier le traité de Nice ne semble guère préoccuper la classe des Europhiles.

[3] La BCE considère qu’en dessous d’un taux de chômage de 11% il y a risque d’inflation. La FED se fonde sur le chiffre de 4%.

[4] Le problème des pensions risque de poser à terme un dilemme sérieux aux finances publiques belges : garantir le financement des retraites ou maintenir la convergence économique dans le cadre de l’Euro.

 

 

(Bastion n°58 de Février 2002)

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