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La Belgique sans les Francs

 

A entendre les penseurs officiels, 99,99999% des Européens se sont réjouis de l’arrivée de la monnaie unique. Faute de statistiques fiables, je ne contesterai pas le chiffre[1]. L’attrait de la nouveauté et le sentiment pro-européen ont indiscutablement joué en faveur de l’Euro. Pourtant, malgré toute la sympathie qu’inspire la nouvelle devise - en tant que symbole d’une communauté de destin - il ne faut pas se laisser abuser par l’appréciation monolithique des médias[2]. L’Euro n’aura pas que des avantages. Il aura aussi des inconvénients. Pour les appréhender, il convient de revenir sur les conditions de sa genèse et sur sa véritable dimension politique.

1. Genèse de l’Euro : Qui s’en souvient ? Au début des années 1990, les eurocrates de la Commission avançaient trois considérations majeures pour justifier l’avènement de la monnaie unique :

  • L’Euro serait une monnaie forte parce qu’utilisée par 320 millions d’Européens.
  • L’Euro ferait pièce au dollar.
  • L’Euro conduirait à la baisse des prix par une plus grande transparence des marchés.

Force est de constater que les deux premiers arguments sont déjà passés à la trappe des faits sociaux. L’Euro est une monnaie faible et son taux d’utilisation dans les échanges internationaux n’est pas supérieur à celui du total cumulé des défuntes monnaies nationales[3]. La valeur d’une monnaie ne se décrète pas. Elle dépend essentiellement de la confiance qu’elle inspire et non du nombre de ses utilisateurs.   Or, si les investisseurs se méfient de l’Euro c’est qu’ils savent que l’Europe est minée par l’arbitraire fiscal et par une immigration galopante qui appauvrit son capital humain[4]. Quant au troisième argument, celui de la baisse des prix, il ne supporte pas l’analyse économique. Il existe une multitude d’obstacles à la comparaison et à l’alignement des prix entre des espaces hétérogènes. Ainsi, pour qu’un consommateur capte une information pertinente sur des différentiels de prix et l’utilise à son profit, il faut que son coût d’opportunité soit inférieur au bénéfice qu’il espère retirer de son action. Plus simplement : il ne viendrait à l’idée de personne de dépenser 10 Euros pour apprendre qu’un yaourt, vendu cinq-cents kilomètres plus loin, vaut quelques centimes d’Euro de moins. En outre, la comparaison des prix entre des contextes fiscaux différents n’a pas de sens. Ce n’est pas parce que l’essence est vendue moins chère au Luxembourg qu’elle va baisser à la pompe en Belgique. Face à la contrainte fiscale et à la structure de marché[5], le consommateur est impuissant. Pour cette raison, l’Euro n’aura qu’une faible incidence sur les disparités de prix constatées en Europe. Plus récemment, les Eurocrates ont avancé un quatrième argument magique : l’Euro sera bon pour les entreprises. Les avantages supposés étant : a) la suppression des frais de change, b) un marché des intrants[6] plus transparent et plus concurrentiel, c) une monnaie plus stable. Ces avantages sont discutables. Le cours des matières premières est, le plus souvent, libellé en dollars. La faiblesse structurelle de l’Euro conduira donc à un renchérissement des intrants et non à leur baisse. Il faut ajouter que la suppression artificielle des monnaies européennes n’empêchera pas l’Euro de fluctuer face à la monnaie américaine. Pour limiter les risques de dévaluation, la Banque Centrale Européenne aura naturellement tendance à conserver des taux d’intérêt élevés[7]. Il s’ensuit que le coût des investissements en Europe sera plus élevé que dans le reste du monde. La récession s’accentuera dans certains Etats membres (Allemagne, France) et l’expansion sera freinée dans d’autres (Irlande, et Europe du Sud)[8]. De surcroît, on est en droit de se demander quel aura été le coût exact du passage à l’Euro pour les entreprises ? Qui paiera les nouveaux logiciels de comptabilité ? Les nouvelles caisses enregistreuses ? Les formations? Les nouveaux distributeurs en tout genre ? Toutefois, ces considérations purement économiques ne doivent pas nous faire oublier que l’Euro a, aussi, une dimension politique.

2. Euro et démocratie politique : A l’origine, la monnaie unique est une idée socialiste [9] dont le projet sous-jacent est de vider, progressivement, les Etats-nations de leur substance. Tôt ou tard, on s’apercevra, en effet, que gérer une monnaie unique en l’absence de politiques fiscales, sociales et budgétaires unifiées relève de la gageure. Pour rendre l’Euro viable sur le long terme, il faudra inévitablement transférer les derniers pouvoirs économiques des Etats aux institutions européennes. Or, l’expérience montre que celles-ci échappent de plus en plus au contrôle démocratique[10]. Plus aucun peuple ne sera, individuellement, en mesure de contrer leur dérive cosmopolite et interventionniste. La liberté économique se restreindra au profit de politiques sectorielles hasardeuses qui précipiteront le déclin de l’Europe. A l’annonce de la création de l’Euro, Milton Friedmann[11] avait déclaré : « Ils n’ont rien compris depuis Dioclétien »[12]. Ce jugement est hâtif. S’il est manifeste que les eurocrates ne seraient plus capables de construire un aqueduc romain[13], ils ont retenu toutes les recettes de l’orientalisme politique des derniers empereurs : la concentration des pouvoirs, la division ethnique, la barbarisation des assemblées, l’insécurité juridique et l’infantilisation du peuple. Quoiqu’on en pense, la disparition des Francs de Belgique marque une étape cruciale de son existence. Ironie de l’histoire, les Francs se perpétueront en Afrique : au Tchad, au Gabon, au Cameroun et dans les douze autres Etats de la Communauté Financière Africaine (C.F.A). Quelques esprits politiquement incorrects déploreront que les Francs restent en Afrique alors que les Africains arrivent en masse chez les Francs. Pour ma part, je me consolerai en pensant à la survie du Franc suisse : celte, alémanique, national et libéral. La devise du succès.



[1] A lire les dépêches de certaines agences, on voit que le passage à l’Euro est loin de rencontrer l’enthousiasme des personnes âgées. En Italie, on a même assisté à des manifestations de pensionnés qui voulaient continuer à percevoir leur retraite en Lires.  

[2] Le fait que l’Euro soit unanimement soutenu par la caste médiatico-politico-immigrationniste est un signe inquiétant en soi. Il est également révélateur de constater que tout débat au sujet de l’Euro est devenu impossible. Dès que l’on avance une objection tirée de la science économique, on est taxé de : réactionnaire-xénophobe-anti-Europe  (expression entendue sur Europe 1).

[3] Le cours du dollar indique de manière irréfutable que la demande de monnaie internationale est en sa faveur.

[4] En d’autres termes : ils anticipent une faiblesse durable de l’Euro.

[5] La structure de marché est définie, ici, par son degré de concurrence. Reprenons l’exemple du yaourt. Ce n’est pas parce que vous constatez qu’il est vendu moins cher dans un supermarché étranger que vous aurez le pouvoir de contraindre la grande surface de votre quartier de vous le vendre à meilleur prix.

[6] Intrants : ce que l’entreprise transforme en extrants ou produits.

[7] Des taux d’intérêt élevés sont nécessaires pour compenser le manque de confiance. Ils jouent le rôle de prime de risque.

[8] A moins d’emprunter en dollars… un comble pour tous ceux qui chantent les vertus de l’Euro.

[9] Lancée par la Commission Delors.

[10] Comme le montre par exemple leur volonté d’intégrer dans l’Union les pays d’Europe Centrale et Orientale contre l’avis d’une large majorité de leurs citoyens.

[11] Prix Nobel d’économie. Spécialiste des questions monétaires. C’est grâce à ses travaux que le fléau de l’inflation a pu être jugulé en Occident.

[12] L’empereur romain (4e siècle) avait pris un édit bloquant les prix pour lutter contre l’inflation. Immédiatement, un vaste marché noir s’instaura. Les prix flambèrent et l’empire fut ruiné.

[13] Selon les lois de la physique et de l’architecture, l’aqueduc figurant sur le billet de 5 Euros s’effondrerait - les piliers des arches supérieures s’appuyant sur les clefs de voûte des arches inférieures.

 

 

(Bastion n°58 de Février 2002)

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