RWANDA : JUGES BLANCS OU GACACA?

Chaque pays juge, c'est l'évidence, les crimes et les délits commis sur son propre territoire. Et selon ses propres lois. Mais la petite Belgique a changé tout cela. Depuis 1993, elle s'estime compétente pour juger tout crime grave, commis en n'importe quel point du monde! La Belgique, gendarmette du monde. Qui n'a pu élucider les Tueries du Brabant wallon, le meurtre d'André Cools, ou les disparitions, viols et meurtres d'enfants en Belgique! La Belgique, qui est incapable de veiller à la sécurité de nos concitoyens, qu'on attaque et rançonne en rue, dans leur voiture, leur maison, dans les grandes surfaces, dans les trains, les métros!! Bref, la Belgique a décidé d'épingler quatre "génocidaires" rwandais.

C'est, bien sûr, au juge d'instruction Vandermeersch, que l'on a confié l'instruction. Ce juge a déjà, à son actif, des instructions contre l'ex-président Augusto Pinochet du Chili, contre l'ex-ministre des Affaires Etrangères congolais Abdoulaye Yerodia, et contre l'ex-président iranien Rafsanjani. Vous n'êtes pas heureux, que les Talibans aient détruit les bouddhas géants de Tamyan? Déposez plainte entre ses mains, c'est de sa compétence ("le fait de diriger des attaques contre les monuments historiques"..loi du 16.6.1993).

Voici donc, comme au temps des colonies, quatre accusés noirs, face à leurs juges blancs, auto-proclamés. Mais que savent ces jurés blancs, de crimes commis à 6.000 kilomètres d'ici? Que savent-ils du Rwanda? Des cases, où brûle doucement le makala, qui tue les moustiques et fume la viande, des bananiers, de la saison des pluies, de l'arabica, des délicates vaches, à cornes lyres? Que savent-ils du pays des Mille Collines, des haines cruelles, des massacres à l'arme blanche, lance ou machette? Des experts ont donc entrepris de les mettre au parfum. Sur la vérité, en Afrique, par exemple. Mentir, explique le juriste et politologue Filip Reyntjens, en Afrique, c'est "bien parler". L'Africain jauge son interlocuteur: est-il son inférieur? son supérieur? peut-il le récompenser ou exercer des représailles? C'est en fonction de tout cela, qu'il va dire "la vérité".

Cette explication sur la vérité africaine, n'a ému personne: ni juges ni jurés. Personne n'a compris, que les témoins raconteront peut-être... tout ce qu'on voudra. Sans compter les interprètes! Car le bon juge Vandermeersch a recueilli les témoignages en kinyarwanda, et il faut les traduire. Et puis, ces témoins, il faut les faire venir. La Belgique s'est déjà procuré 57 tickets d'avion, pour la modeste somme de 5.000.000 de francs. Les témoins sont hébergés à l'Ecole Royale Militaire: tapis-plain, tentures gaies, salle de douche, accès aux salles de détente: radio, télé, billard, tennis de table et... 1000 francs par jour, une somme stupéfiante pour eux! La presse annonce déjà qu'ils auront "peur des suites, au retour". Autrement dit, et bien qu'ils témoignent contre les adversaires du régime actuel, ils sont bons pour... l'asile politique en Belgique!!! Surtout s'ils ont "bien parlé"?

Vous me direz que le sujet est grave, et que juger des criminels qui ont tué à la machette ou l'arme de guerre 800.000 Tutsis ou opposants hutus (estimation), cela vaut tous les efforts du monde. Sans doute. L'ennui, c'est que les quatre accusés, Vincent Ntezimana, Alphonse Higaniro, et les religieuses Gertrude et Marie-Kisito, n'ont tué personne. On les accuse d'avoir incité au massacre, à des degrés divers. Les autorités belges auraient mieux fait de mettre la main, et promptement, sur les responsables de la mort des 10 commandos belges, à Kigali, le 7 avril 1994. Et de faire justice. Quant aux terribles massacres qui ont endeuillé le Pays des Mille Collines, qui sommes-nous pour nous en mêler aujourd'hui? Si les autorités belges avaient le moindre respect pour les morts, et pour les vivants, pourquoi ne pas faire confiance à la justice rwandaise?

Les autorités rwandaises détiennent aujourd'hui, quelque 125.000 personnes, soupçonnées d'avoir participé aux massacres de 1994. En 4 ans et demi, elles ont jugé 4.500 personnes. Il leur faudrait encore 125 ans, à ce rythme, pour juger tout le monde. Mais il y a aussi la justice traditionnelle, la justice coutumière, celle que l'on rend sur le gazon, dans la fraîcheur des baobabs... L'accusé est "mis en débat", on palabre, on trouve une solution. Que l'on rende au Rwanda ses Rwandais, et que la Belgique s'occupe donc de restaurer l'ordre et la sécurité sur son propre territoire!