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SANS DOMICILE FIXE OU S.D.F. Entretien avec un sans-papier belge...
6 décembre, c'est la Saint-Nicolas. Il fait déjà noir, il pleut, il vente. Je m'engouffre dans la Taverne, où nous avons rendez-vous. Nous sommes un peu gênés. Moi, en tailleur et manteau...chauds! Lui, la trentaine, grand, mince, musclé, prêt à bondir semble-t-il. Habillé, comme le serait un étudiant désargenté. Vite, une bière, n'importe quoi, va pour un "Eléphant" de Carslberg. Il en boira 10, 15? Sans arrêt. Entre les doigts, un paquet de cigarettes, N.Y. Une victime? Sans doute. Un prédateur, peut-être aussi. Je ne saurai pas toute la vérité, loin de là. Ni la détresse de se coucher seul, sous du papier journal, du carton, sur un banc dans un parc. Ni la fascination de la vie dans la rue, car il y en a une, c'est lui qui le dit. Mais je ne saurai rien, aujourd'hui, ou pas grand chose. C'est seulement une porte qui s'entrouvre, sur la vie de nos compatriotes, sans abri, dans la rue la nuit.
Le Bastion: Avant, vous aviez comme moi, un métier, un logis?
M.: Bien sûr. J'ai fait des interims, j'étais déménageur. Je gagnais facilement 75.000 francs nets par mois. J'ai eu un accident. En fait, une rixe. J'ai été atteint à l'oeil, à l'oreille, au bras. J'ai perdu mon emploi. J'ai ouvert un magasin de nuit, avec un ami. J'ai fait faillite, mon associé a disparu. Je suis resté seul avec les dettes. Des millions. J'ai fait des chèques sans provision. J'habitais au-dessus du magasin. Un jour, j'ai voulu rentrer, le propriétaire avait fait changer les serrures. J'ai été expulsé, je n'ai plus revu mes meubles. J'ai été arrêté, pour les chèques de bois. Le comble: j'avais déjà un casier, je n'avais plus de domicile, plus d'emploi, hé bien, on m'a relâché!!! Dans la rue...
Le Bastion: Qu'avez-vous fait, ce jour-là? : Qu'avez-vous fait, ce jour-là?: Qu'avez-vous fait, ce jour-là? : Qu'avez-vous fait, ce jour-là?
Le Bastion: Quand on les a... : Quand on les a...: Quand on les a... : Quand on les a...M.:J'ai vite commencé à faire la manche. Au début, je n'osais pas. Je paniquais. Je prenais la monnaie en main, je n'avais pas de pot. Je disais: bonjour, excusez-moi, je suis dans la rue, vous n'auriez pas 10 francs? Il faut vous dire: pour bien faire la manche, on boit. Le matin, rien à faire. Mais vers une heure, deux heures de l'après-midi, je bois un litre, deux litres, au soir je me sens tout à fait bien, pour faire la manche. Boire, cela aide beaucoup, dans la rue. Pas tellement pour avoir chaud. Mais pour avoir plus de franchise, pour mendier. Le Bastion: Pourquoi ne voulez-vous pas dormir dans les homes? : Pourquoi ne voulez-vous pas dormir dans les homes? : Pourquoi ne voulez-vous pas dormir dans les homes? M.:A cause de la vermine! Vous avez déjà bien regardé les SDF? Il y en a qui ne se lavent plus du tout. Il y en a encore deux qui sont morts, il y a trois mois. L'un est mort dans le métro De Brouckère, l'autre s'est laissé mourir, car c'était son ami. Hé bien, ces deux-là, ils ne se lavaient jamais. Alors, dans les homes, c'est plein de vermine. Je préfère aller dans les parcs. C'est comme en prison. Si vous allez à Saint-Gilles, on vous donne la couverture d'un autre détenu. C'est comme cela que j'ai attrapé la gale, en 1991. Puis des morpions. L'hygiène dans les années 90, à Saint-Gilles! On était parfois quatre, dans une cellule de deux. On devait faire ses besoins dans un vase. C'est un détenu, un boy, on l'appelait un fatik, qui relevait les vases. Il le faisait à 6 heures du matin, lors de la distribution du courrier. Il fallait être prêt, avec le vase, sinon on devait le garder en cellule jusqu'au lendemain... Les excréments, l'eau des cuvettes où l'on faisait sa toilette, le tout était jeté dans un container, vidé une fois par semaine par une firme Deter. Ce jour-là, il valait mieux avoir un masque à gaz! Le Bastion:Vous êtes-vous adressé aux services sociaux? Le Bastion:Vous êtes-vous adressé aux services sociaux? :Vous êtes-vous adressé aux services sociaux? :Vous êtes-vous adressé aux services sociaux?
M.:Quand j'ai fait faillite, j'ai été voir une assistante sociale, madame Muche. Elle m'a répondu tout de go: ne me dites pas qu'avec votre magasin, vous n'avez pas mis d'argent de côté. Je demandais de l'aide, pour reprendre un appartement. Elle a refusé. Elle a proposé de me loger au home Baudouin, logé, nourri, et 100 francs d'argent de poche. J'ai refusé.
Le Bastion: Vous avez dormi dans les parcs, pendant deux ans?! : Vous avez dormi dans les parcs, pendant deux ans?! : Vous avez dormi dans les parcs, pendant deux ans?!
M.: Non, pas toujours. Parfois, on rencontre quelqu'un. On est parfois logé, nourri. J'ai longtemps fait la manche à Auderghem. Il y avait une dame âgée, elle m'apportait un repas chaud tous les midis. J'étais devant le GB. On me laissait tranquille. Voyez Jacky, il a trouvé quelqu'un, la manche pour lui c'est fini, mais cela va lui manquer, c'est sûr...
Le Bastion: Pardon? Vous avez dit...que cela allait lui manquer? Qu'est-ce qui va lui manquer? : Pardon? Vous avez dit...que cela allait lui manquer? Qu'est-ce qui va lui manquer? : Pardon? Vous avez dit...que cela allait lui manquer? Qu'est-ce qui va lui manquer?
(Il fait un geste vers sa bière "Eléphant"). Oui, ça va lui manquer. La rue, l'alcool, l'argent facile. La manche, c'est l'argent facile.
Le Bastion: Comment peut-on dire que c'est une vie facile?! En hiver?? : Comment peut-on dire que c'est une vie facile?! En hiver??: Comment peut-on dire que c'est une vie facile?! En hiver?? : Comment peut-on dire que c'est une vie facile?! En hiver??M.: Ah, en hiver! Oui, j'ai déjà craqué, en hiver. En arrivant sur mon banc, j'ai pleuré comme un enfant. Un soir, je me suis endormi, j'avais bu, je n'ai pas mis ma couverture, on m'a vidé les poches, pris mes papiers. Depuis, plus moyen d'en ravoir d'autres! Je suis un sans -papiers...belge. Le Bastion: Y a-t-il des femmes dans la rue? Le Bastion: Y a-t-il des femmes dans la rue? : Y a-t-il des femmes dans la rue? : Y a-t-il des femmes dans la rue?
M.: Les femmes sont plus vite acceptées dans les homes. Mais il y en a une, rue du Midi, elle refuse mordicus, elle dort à la Gare du Midi, près de la bouche du métro, après la fermeture de la grille, il y fait très chaud. Elle doit avoir 40 ans.
Le Bastion: Et la police, que fait-elle à votre égard? Le Bastion: Et la police, que fait-elle à votre égard? : Et la police, que fait-elle à votre égard? : Et la police, que fait-elle à votre égard?
M.: Des rafles. Avec 2-3 combis. Ils vous emmènent, vous fouillent, puis vous relâchent, 2 ou 3 heures après. La dernière fois, ils ont même emmené un touriste anglais. Le type n'avait rien fait, il faisait très chaud, il s'était étendu un peu au Cimetière des Rats.
Le Bastion: Le Cimetière des Rats?!
M.: C'est un petit parc, près de la place de Brouckère. On l'appelle le Cimetière des Rats. Nous, les manchots, on vit la nuit. Il faut trouver une place. On nous appelle les Rats.
Le Bastion: Où peut-on dormir, quand on n'a nulle part où aller? : Où peut-on dormir, quand on n'a nulle part où aller? : Où peut-on dormir, quand on n'a nulle part où aller?
M.: Hé bien, je vous conseille les parcs. Il y en a un, ici tout près. Avec des bancs impeccables. Mais vous savez ce qu'ils font à Bruxelles? Ils enlèvent une latte, à chaque banc. Comme ça, impossible d'y dormir! C'est une vraie torture, on se tourne, on se retourne, essayez seulement de dormir! A chaque banc, il manque une latte. Quand on ne peut enlever une latte, comme aux bancs entre la Bourse et la place de Brouckère, on enlève carrément les bancs!. Pour ce soir, moi je dors dans une voiture...
Le Bastion: Vous êtes jeune, vous présentez bien...Comment se débrouillent les sans abri âgés? : Vous êtes jeune, vous présentez bien...Comment se débrouillent les sans abri âgés? : Vous êtes jeune, vous présentez bien...Comment se débrouillent les sans abri âgés?
M.: Chacun a sa zone, il faut pouvoir s'imposer. Sinon, vous êtes mis à l'amende. On vous vole le pot, votre argent. Alors, les vieux... Il y en a un, ici, rue de Louvain, près de l'agence Rossel. Je lui dis toujours: ne laisse pas toute ta monnaie dans le pot, un peu seulement, cache le reste dans ton caleçon... Les vieux, oui. Je pense au Baron, à Jef. Il dormait dans un home, à l'Armée du Salut. Il a été accusé d'un larcin. On l'a mis dehors. Il a été dormir dans un chantier, près de la Bourse. Le lendemain, on l'a retrouvé mort. De froid, probablement.
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx AUX LECTEURS DU BASTION
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MB AU PARLEMENT BRUXELLOIS (Bastion n°39 de janvier 2000) |