Quand les alliés des Etats-Unis
sont aussi
(et surtout) leurs concurrents :
le rôle despionnage universel d " ECHELON "
Début
1998, Steve Wright, membre dOMEGA, une association britannique pour
les droits des citoyens basée à Manchester, constate dans un rapport quil adresse
au Parlement Européen, que tous les courriers électroniques, les conversations
téléphoniques et les fax sont enregistrés par routine par le service de renseignement
américain NSA (National Security Agency). La NSA fait suivre toutes ces
données récoltées en Europe à ladresse du Quartier Général de la NSA aux
Etats-Unis, à Fort Meade dans le Maryland. Avec raison, Wright conclut que la NSA a
installé un système de surveillance global, dont le but est de sonder les satellites par
lesquels transite la plus grande partie des communications internationales. A la
différence des systèmes de surveillance électroniques, utilisés lors de la guerre
froide pour sonder des organismes militaires, le système de surveillance " ECHELON " sert essentiellement à espionner
des cibles civiles : des gouvernements, des organisations de toutes sortes ou des
entreprises commerciales ou industrielles.
Quatre
pays, explique Wright, se partagent, avec les Etats-Unis, les résultats de cet espionnage
global : la Grande-Bretagne, le Canada, la Nouvelle-Zélande et lAustralie. Les
services secrets de ces quatre pays nagissent en fait que comme fournisseurs
subalternes de renseignements. En dautres termes : seuls les Américains contrôlent
complètement le réseau despionnage ECHELON. Ensuite, dans le rapport de Wright, on
apprend également que la plus grande station découte du monde se trouve à Menwith
Hill, en Angleterre dans le Comté du Yorkshire. Cette station serait en mesure
découter la plupart des communications en Europe et dans les pays de lex-URSS
Dans ce
rapport de Wright, pour la première fois, on apprend officiellement dans lUnion
Européenne (UE) quun système découte global et électronique, dont le nom
est ECHELON, existe ! Pendant des années, seules des informations fortuites et
superficielles circulaient à propos dECHELON. Le premier à avoir parlé du concept
même dECHELON a été le journaliste britannique, spécialisé dans les affaires
despionnage, Duncan Campbell. Dans un article pour le magazine New Statesman
du 12 août 1988. Il y a onze ans, Campbell révélait quECHELON permettait de
surveiller toutes les communications venant et arrivant en Grande-Bretagne, à la
condition que cette surveillance serve lintérêt national ou favorise
léconomie britannique. Récemment, Campbell a lui-même rédigé un rapport à la
demande dun groupe de travail de lUE, le STOA (Scientific and Technological
Options Assessments). Le titre de son rapport : Interception Capabilities 2000
(soit : Etat des techniques découtes en lan 2000). Il traitait en détail
dECHELON.
Les gouvernements décident de
lutilisation du matériel récolté
Campbell
montre notamment dans son rapport que chaque Etat, participant à ECHELON, a autorisé ses
services secrets ou certains ministères, de consulter tout matériel récolté ayant une
importance dordre économique ou de les commander. Grâce aux informations ainsi
engrangées, des objectifs très divers peuvent être poursuivis. Campbell ajoute que la
décision dexploiter ou dutiliser ces informations acquises par espionnage ne
relève pas des services secrets impliqués mais des gouvernements.
Ce
rapport ne manque pas de piquant: en effet, la Grande-Bretagne est membre de lUE et
participe à lespionnage généralisé de tous ses partenaires. Rappelons à ce
propos deux faits : le journal anglais The Independant du 11 avril 1998 constate,
vu la participation de la Grande-Bretagne à ECHELON, que celle-ci participe à un
consortium de services électroniques de renseignements, qui espionne systématiquement
les secrets économiques et commerciaux des Etats de lUE. Le journal citait
lavocat français Jean-Pierre Millet, spécialisé en criminalité informatique. Les
partenaires de la Grande-Bretagne, disait Millet, auraient raison den vouloir aux
Britanniques, parce que ceux-ci nont pas abandonné leur coopération avec les
Américains. Disons aussi en passant que la France, en matière despionnage
économique, nest pas un enfant de choeur. Ainsi, par exemple, lancien chef
des services secrets français, Pierre Marion, avait déclaré que la guerre faisait
toujours rage, y com-pris entre pays alliés, dès quil sagissait
daffaires (cf. Spectator, 9 avril 1994). La grogne des Français, dans ce
contexte, se justifiait non pas tant parce que la Grande-Bretagne faisait partie du cartel
dECHELON, mais parce que la France ne pouvait pas participer à cette gigantesque
machine globale à fouiner.
Le
nom de code ECHELON découle du terme militaire français "échelon". ECHELON a
été au départ conçu par les services de renseignements pour surveiller lUnion
Soviétique. Après leffondrement de celle-ci, ce projet, qui a coûté des
milliards, devait servir à combattre officiellement le terrorisme international. Mais
cette justification nest quun rideau de fumée, destiné à dissimuler le
véritable objectif. Daprès les informations dont on dispose, on peut désormais
affirmer quECHELON a bel et bien été conçu prioritairement pour lespionnage
industriel et économique à grande échelle.
Lallié
militaire officiel peut être lennemi économique réel
Dans un
rapport du 29 mars de cette année, Der Spiegel évoquait que les termes-clefs,
avec lesquels ECHELON fonctionne, proviennent avant tout du domaine économique
américain. Indice supplémentaire que les Américains ne se gênent nullement pour
combattre les concurrents étrangers de leurs entreprises par tous les moyens, même
illicites. Cela leur est complètement égal de savoir si la firme espionnée appartient
à un pays allié ou ennemi. Deux auteurs ont bien mis cela en exergue, Selig S. Harrison
et Clyde V. Prestowitz, dans un article du périodique Foreign Policy (79/90) : les
alliés militaires des Etats-Unis sont ses ennemis économiques. Il est fort probable que
les Etats-Unis nieront quune rivalité fondamentale les oppose aux autres puissances
occidentales sur les plans des relations commerciales internationales, ce qui les
empêchera, par la même occasion, de réagir adéquatement au niveau des règles de la
concurrence.
Lancien
directeur du FBI, William Sessions, voit les choses de la même façon : dans un
entretien, il a expliqué quaujourdhui déjà, et, a fortiori dans
lavenir, une puissance est ou sera lalliée ou lennemie des Etats-Unis
non seulement selon les nécessités militaires, mais aussi et surtout selon les
résultats des observations que les Etats-Unis obtiendront de leurs services de
renseignement dans les domaines scientifiques, technologiques, politiques et économiques
(cf. Washington Times, 30 avril 1992) (ndlr : autrement dit, aucune
puissance européenne ou asiatique ne pourra désormais développer un programme de
recherches scientifiques ou technologiques, et réussir des applications pratiques, sans
risquer dencourir les foudres des Etats-Unis et dêtre décrite dans les
médias comme "totalitaire", "dictatoriale", "communiste" ou
"fasciste", ou "rouge-brune").
Lespionnage scientifique renforce
la mainmise politique
Philip
Zelikov est encore plus clair dans son ouvrage American Intelligence and the World
Economy (New York, 1996). La victoire dans la bataille pour être compétitif sur les
marchés du monde est le premier point à lordre du jour dans lagenda de la
sécurité américaine. Même vision chez Lester Thurow, célèbre économiste américain
du MIT (Massachusetts Institute of Technology), auteur de Head to Head : The Co-ming
Battle between Japan, Europe and America (New York, 1992). Sans sembarrasser de
circonlocutions, Thurow écrit que les Etats qui dominent les plus grands marchés
définissent également les règles. Il en a toujours été ainsi. Raison pour laquelle
les Américains refusent même aux Etats qui participent au réseau ECHELON
daccéder à toutes les données récoltées. Ce genre de restriction est également
habituel. Ainsi, par exemple, Mark Urban, dans son livre UK Eyes Alpha. The Inside
Story of British Intelligence (Londres, 1996), évoque la coopération entre les
services secrets britannique et américain et constate que les Américains nont
jamais cessé de retenir des informations, de les garder pour eux seuls. Il
sagissait surtout des informations relatives aux affaires commerciales.
Ce
détail et cette pratique de rétention expliquent les véritables motivations des
Américains et de leurs partenaires dans le réseau découte global ECHELON.
Pourtant il serait inexact et insuffisant daffirmer que le seul but dECHELON
est lespionnage économique. Comme auparavant, lintelligence militaire et
politique occupe une large part des activités de ce réseau. En priorité, ECHELON sert
à faire valoir ses propres intérêts de manière plus efficace.
Les révélations du Néo-Zélandais
Nicky Hager
Daprès
les explications du Néo-Zélandais Nicky Hager, qui, avec son livre Secret Power. New
Zealands Role in the International Spy Network (1996), a permis de mieux savoir
comment fonctionnait ECHELON, ce système despionnage nest pas agencé de
façon à contrôler et à copier chaque courrier électronique ou chaque télécopie. Le
système vise plutôt à trier et à sonder de grandes quantités de communications
électroniques. Les ordinateurs dECHELON filtrent au départ de mots-clefs ou de
concepts-clefs, consignés dans des "dictionnaires" et, à partir de la masse
dinformations récoltées, trient ce qui est intéressant pour les divers services
de renseignement.
Dans
cette pratique, écrit Hager dans son article du magazine Covert Action Quarterly
(56/96-97), le système de filtrage " Memex ", élaboré par la firme
britannique Memex Technology, joue un rôle primordial. Memex est en mesure de rechercher
de grandes quantités de données au départ de concepts-clefs. Ces concepts-clefs
englobent les noms de certaines personnalités, dorganisations, de désignations de
pays ou de termes scientifiques ou spécialisés. Parmi ces concepts-clefs, on trouve les
numéros de fax et les adresses électroniques de certains individus, dorganisations
ou dinstitutions étatiques.
Une
chaîne mondiale dinstallations découte (comme, par exemple, Menwith Hill ou
Bad Aibling en Bavière) a été placée tout autour du globe, pour pomper les réseaux
internationaux de télécommunications. ECHELON relie entre elles toutes ces installations
découte, qui permettent aux Etats-Unis et à leurs alliés de surveiller une bonne
part des communications qui seffectuent sur la Terre.
Ce qui
est substantiellement nouveau dans ECHELON nest pas tant le fait que des ordinateurs
sont utilisés pour exploiter des renseignements électroniques à laide de certains
concepts-clefs (car cétait déjà possible dans les années 70), mais cest
surtout la capacité dECHELON et de la NSA de pouvoir placer en réseau tous les
ordinateurs mis en oeuvre et cela, à grande échelle. Cette mise en réseau permet aux
diverses stations découte de travailler comme autant de composantes dun
système global intégré. La NSA, le service secret néo-zélandais GCSB (Government
Communications Security Bureau), le service secret britannique GCHQ (Government
Communications Head Quarters), le service secret canadien CSE (Communications Security
Establishment) et le service secret australien DSD (Defence Signals Directorate) sont les
partenaires contractuels de lUKUSA Signals Intelligence, un pacte entre les divers
services de renseignements des puissances anglo-saxonnes. Cette alliance explique par ses
origines : elle date de la coopération entre ces services pendant la seconde guerre
mondiale. Au départ, elle visait à faire surveiller lURSS par les services de
renseignement.
Pomper les satellites
Grosso
modo, ECHELON poursuit trois objectifs. Dabord contrôler les satellites permettant
les communications internationales quutilisent les sociétés téléphoniques de la
plupart des Etats du monde. Un anneau de tels satellites entoure la Terre. En règle
générale, ces satellites sont positionnés à hauteur de lEquateur. Daprès
ce que nous en dit Nicky Hager, cinq stations découtes du réseau ECHELON servent
à pomper ce que contiennent ces satellites.
Deuxième
objectif : espionner les satellites qui nappartiennent pas à Intelsat. Il
sagit surtout de satellites russes, mais aussi dautres satellites régionaux
de communications. Les stations qui surveillent ces satellites-là sont, daprès
Hager, Menwith Hill (Angleterre), Shoal Bay (Australie), Bad Aibling (Bavière/RFA),
Misawa (Nord du Japon) et Leitrim (Canada). Cette dernière soccupe principalement
des satellites latino-américains.
Enfin,
troisième objectif dECHELON : coordonner les stations qui soccupent des
systèmes de communications terrestres. Celles-ci sont spécialement intéressantes car
elles seffectuent par lintermédiaire de câbles transocéaniques et
dune technique de haute fréquence, et véhiculent dénormes quantités de
communications officielles, commerciales ou gouvernementales.
Le gouvernement allemand tolère cette
surveillance tous azimuts
La
station découte très puissante de Menwith Hill dans le Nord de lAngleterre
disposerait de 22 stations satellitaires de réception. Menwith Hill sert en première
instance la NSA, en tant que station terrestre des satellites-espions américains. Ceux-ci
surveillent les télécommunications à rayon réduit comme par exemple les émetteurs
militaires ou les "walkie talkies". Les stations terrestres dAlice Springs
(Australie) et de Bad Aibling (Bavière) ont une fonction analogue.
En
Allemagne, les autorités officielles ne veulent rien entendre de tout cela. Ainsi,
lancien Secrétaire dEtat Eduard Lintner (CSU), en poste au ministère de
lintérieur de Bonn, a répondu le 30 avril 1998 à une question écrite, posée par
le député socialiste Graf, portant sur les activités de la NSA, que le gouvernement
fédéral allemand ne savait rien de plus que ce quavait dit la presse à ce sujet !
En
dautres termes : le gouvernement fédéral allemand ne sait officiellement rien de
cette incursion massive et de cette grave entorse à lintégrité des Etats
nationaux et des individus. Mais cette attaque vient d"Etats amis" de
lAllemagne. Cest tout dire !
Michael WIESBERG. (traduit de
lAllemand par Robert Steuckers)
(Extraits
dun article paru dans Junge Freiheit, n°26/99 redaktion@jungefreiheit.de
Site : http://www.jungefreiheit.de
Pour la traduction française : robert.steuckers@skynet.be
Pour "
Synergies Européennes "-France : Cercleuropa@wanadoo.fr ).
voir
notamment le site http://www.fas.org/irp/nsa/nsafacil.html
(Bastion n°37 de
Novembre 1999)
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