La nation belge, une réalité.
Devant labus que font certains de quelques termes ronflants qui sonnent bien aux oreilles du public, je vais me permettre, pour être sûr dêtre bien compris, de donner trois définitions.
Un peuple est un ensemble dêtres humains qui vit ensemble, forme une communauté active, réelle, et souhaite que cette situation dure.
Une nation, est un peuple qui sest donné des structures de gouvernement. La formation des nations en Europe est le résultat dun long processus historique dont le début se situe déjà à lépoque des gaulois, qui a connu une phase de cristallisation au XIXme siècle, qui a modelé la carte du continent. Il est des nations qui existent incontestablement, comme la française, litalienne ou lallemande. Il en est dautres qui sont moins évidentes.
Un Etat est lexpression politique et administrative dune nation.
Depuis un demi-siècle, le nationalisme se voit traité de tous les noms par les bien pensants. Cest le péché absolu, on lui attribue, ou peu sen faut, tous les maux qui nous affligent, sans dailleurs que ceux qui en parlent ainsi sachent toujours exactement ce quil signifie mais quimporte : il est maudit.
Pourtant, on nempêchera jamais les hommes de sassembler en peuples, et les peuples de tendre à devenir nations.
On a prétendu quil existait en Belgique deux peuples : le wallon et le flamand. Deux remarques simposent à ce propos. Tout dabord, cette affirmation fait bon marché des germanophones de notre pays qui, que je sache, ne sont ni lun ni lautre. Ensuite, cest limiter la notion de peuple à des considérations linguistiques qui en tronquent singulièrement la portée. Jose-Antonio Primo de Rivera, auquel on ne contestera pas les qualifications en la matière, a écrit : « Une nation nest ni un langage, ni une race, ni un territoire. Cest une communauté de destin dans luniversel. »
Cette citation sapplique parfaitement au cas belge.
Sans remonter jusquà César encore que je pourrais le faire je nen veux pour meilleure preuve que la création par les ducs de Bourgogne dun puissant Etat aux frontières nord de la France, et qui fit passer au roi Louis XI pas mal de nuits blanches. Depuis lors, la Belgique a été gouvernée successivement par ses princes naturels, que ce soit par filiation ou par traité dûment valable en droit international. Même à loccasion de la mort tragique de Charles le Téméraire, les habitants des pays de par-delà, coincés entre lempire dAllemagne et le royaume de France, ont serré les rangs derrière leur jeune princesse et sont parvenus à sauver lessentiel, cest à dire lautonomie de leur peuple.
Le rayonnement de la Belgique de lépoque était considérable : noublions pas que Charles-Quint était gantois ! La fracture qui sest produite avec les provinces qui allaient devenir les Pays-Bas a eu pour cause ladoption de la religion réformée par les habitants de cette région, conduisant à une rupture culturelle, une modification profonde de caractère et la formation du peuple et de la nation batave.
Nos provinces ont raté une première fois lacquisition de leur indépendance sous les archiducs Albert et Isabelle : par la volonté du roi dEspagne Philippe II, si ceux-ci avaient eu des descendants, ils auraient reçu ces régions, dont ils nétaient que gouverneurs, comme apanage personnel. Les mystères de la biologie ont fait que le couple est resté sans postérité.
Dans une version ancienne de la Brabançonne que les plus âgés dentre nous avons connue, on chantait : « Après des siècles et des siècles desclavage, le Belge sortant du tombeau ». Cest tout à fait indiqué dans un hymne à caractère patriotique où il y a lieu dexalter les vertus du citoyen, mais cest tout à fait faux sur le plan historique. Depuis Clovis jusquen 1792, la Belgique a été gouvernée par ses souverains naturels. La conquête militaire française a marqué une rupture nette.
Après la chute de lempire français, les politiciens qui ont concocté le traité de Vienne, négligeant superbement le poids de lhistoire, ont formé un seul Etat avec la Belgique et les Pays-Bas. Le résultat en a été notre révolution de 1830 où tous, Flamands, Wallons et Bruxellois se sont soulevés dun même élan contre les Hollandais, prouvant une fois de plus que le peuple belge existait bien et quil savait se manifester avec énergie quand cétait nécessaire. Les derniers orangistes qui sont restés en Belgique après lindépendance ne létaient que pour des raisons économiques : autrement dit, des questions de gros sous. Et les Belges se sont donnés une dynastie dont ils sont encore fiers de nos jours. Lactuelle constitution fédérale rencontre ladhésion de limmense majorité des citoyens, tous régimes linguistiques confondus, en mettant un terme à la manière très réellement injuste dont les néérlandophones et les germanophones du pays avaient été traités dans le passé par le pouvoir central, en tous cas sur les plans linguistique et culturel : il est incontestable que pendant des décennies, les francophones ont tenu le haut du pavé.
Le poids de lhistoire et du nationalisme a également été négligé par les politiciens qui ont accouché du traité de Versailles en 1919. A cette occasion, on a créé de toutes pièces deux Etats constituant des agglomérats de peuples qui navaient souvent que peu de liens entre eux quand ils nétaient pas séparés par des haines inexpiables : la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie. La résolution du problème posé par le premier a été une des causes de la seconde guerre mondiale, et léclatement du second fait encore aujourdhui la une des quotidiens. Voilà ce qui se passe quand on rame à contre-courant.
A la fin du XIXme siècle, le mouvement national flamand est né dans lesprit dune brochette dintellectuels de premier plan. Il a fait tache dhuile et lévolution, lente au départ, mais qui sest accélérée progressivement, vers une situation juste et équilibrée a commencé. Malheureusement, les membres les plus agités de ce mouvement ont, à loccasion des deux guerres mondiales, joué la carte de loccupant. Cest ainsi quest né lextrémisme flamingant, séparatiste, anti-belge. Il y a donc lieu de ne pas confondre communauté néérlandophone et flamingantisme : le second est une déviation pernicieuse de la très juste fierté dappartenir à une culture originale et de posséder des traditions particulières. Flamand et flamingant ne sont pas des synonymes. Et ce nest pas parce que, en période précédant des élections, quelques parlementaires et ministres flamands sagitent soudain pour accoucher de revendications qui fleurent le séparatisme que lextrémisme va soudain semparer de la totalité de la population du nord du pays.
Pendant les deux guerres, la très grande majorité des habitants de notre pays sont restés belges : le sentiment national commun a même crû en ces circonstances.
Le Vlaams Blok est le dernier avatar du flamingantisme. A lexception de la ville dAnvers, qui sest bien souvent singularisée en la matière, son score électoral reste faible. Il se rend dailleurs compte que le flamingantisme prend peu et en conséquence, ratisse large pour attirer à lui des collections de mécontents de diverses espèces qui ne sont pas tous, et de loin, indépendantistes.
Etant donné son passé, le flamingantisme contemporain est naturellement porté à réclamer lamnistie de ceux qui, après la défaite allemande, ont été condamnés pour incivisme. Cette question revient dailleurs périodiquement sur le tapis et provoque à juste titre la colère des anciens combattants. Tous ceux qui, durant la guerre, on pris un parti honnêtement, de façon désintéressée, sont respectables. Mais le cas échéant, ils doivent assumer les conséquences de leur choix, même si elles leur semblent injustes.
Jusquà très récemment, la communauté wallonne na compté aucun indépendantiste, pour seuls rattachistes les seuls diplodocus de Wallonie Libre et François Perrin avait beau ségosiller, il prêchait dans le désert. Et puis patatras ! En juillet 1996, au parlement de Bruxelles, quelques députés échangent des invectives : jusque là, rien de bien étonnant ni de tragique. Cest alors que monsieur Eerdekens (un wallon comme son nom ne lindique pas), en réponse à une réflexion dun de ses collègues flamands, monte sur ses grands chevaux, parle dindépendance wallonne et même de rattachisme ! Depuis lors, le mot est encore prononcé de temps à autre. Mais il est sans aucune portée ; son usage par des hommes politiques est simplement le symbole de lénorme fossé qui, chez nous, sépare la classe politique des électeurs. Dailleurs, la particratie régnante réduit limportance de la représentation parlementaire à peu de choses et les gesticulations du citoyen Eerdekens à moins encore.
Notons en passant que du côté flamand, aucun rattachisme vers les Pays-Bas ne se manifeste.
En tant que francophone habitant en pays flamand, et parfait bilingue bien entendu, je suis bien placé pour constater que lhomme de la rue, partout dans le pays, réprouve ces tendances politiques à la scission et relève en outre que le fédéralisme lui-même coûte cher : six gouvernements pour dix millions dhabitants, il faut le faire !
Un danger réel existe cependant. Devant les exigences flamingantes, les partis traditionnels flamands sont tentés daxer leur programme dans la même direction et ce par une sorte dentraînement à lextrémisme, pour ne pas avoir lair de rester en arrière et dans lespoir de récolter des suffrages et de multiplier les prébendes.
Il est possible que les politiciens qui sont sensés veiller aux destinées de la Belgique conduisent celle-ci à léclatement. Mais ce serait contre la volonté de la majorité, tous régimes linguistiques confondus. Car, dans la situation présente de lEtat belge, les droits de tous sont identiques dans loptique évoquée ici. Le nationalisme est, ainsi quil est dit plus haut, un mouvement naturel et louable des peuples. Mais vouloir faire voler en éclats un Etat qui tient un juste compte des aspirations de tous, pour, au nom dun nationalisme-croupion, créer des entités invivables sur les plans économique, politique et sociologique est de laberration mentale.
Plus grave encore, souhaiter le rattachement à une nation puissante, cest à dire labsorption pure et simple conduisant à la disparition de la spécificité relève de la haute trahison.
R. M. (St Kruis - BRUGGE)(Bastion n°33 d'avril 1999)