Rapatriements: avions d'affaires, douceur, cadeaux et "souvenirs"

Le 22 septembre 1998, 11 gendarmes tentent, pour la 6ème fois, de rapatrier Semira Adamu, vers le Togo. Elle se débat, un gendarme lui applique un coussin sur la bouche, elle meurt étouffée. Le Ministre de l'Intérieur charge une commission, présidée par le professeur Vermeersch, "d'évaluer les instructions en matière d'éloignement".

La Commission remet, le 21 janvier 1999, un avis au Ministre... à certaines conditions. Ainsi, la Belgique devra donner une interprétation "plus large" à l'article 1 de la Convention de Genève. Elle devra accueillir non seulement les demandeurs d'asile persécutés par un Etat, mais aussi ceux qui sont persécutés par leurs concitoyens. Un exemple? Les femmes menacées de mutilation génitale. Il s'agit là d'une coutume fort répandue en Afrique, en Somalie ( 9 millions d'habitants), au Sénégal (8 millions), au Soudan (28 millions), en Ethiopie (56 millions), en Ouganda (21 millions), en Egypte (59 millions)...Et il y a le mariage forcé, dans le monde musulman ou en Inde, par exemple (935 millions d'habitants). Faut-il accueillir tout ce petit monde chez nous, à cause de leurs propres coutumes? Le professeur Vermeersch n'est pas sérieux! Pour sa gouverne, l'excision se pratique désormais aussi en Europe, en Suède et en Angleterre, à la demande des familles. De plus, on ne lui a pas demandé son avis là-dessus; mais désormais, il faut, avant d'émettre un avis quelconque sur l'immigration, montrer sa grande âme, et le professeur Vermeersch l'a fait.

La Commission fait ensuite preuve d'un certain bon sens, encore qu'elle n'ait pas été consultée sur ce chapitre, non plus. Elle constate que la plupart des "réfugiés" ne fuyent que la pauvreté, et que seuls les moins pauvres d'entre eux, qui peuvent se payer le voyage, sont accueillis ici. D'où sa proposition, logique, d'aider les plus pauvres...au pays d'origine. Nous proposons la même chose, depuis des années! Les étudiants africains font aussi l'objet d'une attention particulière: l'argent de leurs bourses d'études serait mieux investi dans des formations sur place, au pays. Et cela éviterait un "brain drain" des éléments africains les plus brillants, vers l'Europe. Bravo! Il reste, en Belgique, des bribes de jugeote.

Les étrangers rapatriés ou refoulés sont extraits d'un centre de détention, cueillis au logis, ou extraits de prison. Le trajet jusqu'à l'aéroport pose peu de problèmes. Le trajet entre la cellule provisoire à l'aéroport, et l'avion en pose davantage: cris, coups, hurlements, tout est fait pour attirer l'attention des passagers ordinaires. Cela s'aggrave dans l'avion, où ils sont installés à la dernière rangée, sans séparation aucune du reste de l'appareil. Cris, coups, coups de griffes, morsures, urine et excréments ("comportements indécents et non hygiéniques", dit la Commission), tout est fait pour provoquer les protestations des autres passagers. Menottes, lanières, ruban adhésif sur la bouche... le spectacle indispose les autres voyageurs, et le rapatriement est souvent annulé.

Parmi les causes de la résistance des étrangers, la Commission en pointe une avec sincérité: des groupes et des individus les incitent à la violence, dans l'espoir de faire annuler tout rapatriement. Pourquoi ne pas nommer le Collectif contre les Expulsions? Il porte une grande responsabilité, dans la mort d'Adamu.

La Commission recommande l'interdiction des moyens de coercition suivants: le ruban collant, le coussin sur la bouche, l'administration de calmants, la camisole de force, et "toute action visant à réprimer la rébellion"! Qu'il crache, qu'il morde, qu'il griffe, qu'il frappe, qu'il défèque, l'étranger sera en toutes circonstances, traité avec douceur par le gendarme qui l'escorte. On croit rêver. Qu'un Belge crache ou morde, il verra comment il sera traité par la maréchaussée!!! De plus, la Commission recommande de punir sévèrement toute infraction aux interdictions précitées. En cas de rébellion, ce seront les gendarmes qui seront punis, en quelque sorte. Qu'on se le dise!!!

Bref, cela pose un problème. On peut difficilement laisser un étranger "s'extérioriser" de cette façon, sur une ligne régulière. Qu'à cela ne tienne: la Commission propose des lignes spéciales, pour eux. Un C130, peut-être? Bon Dieu, non! La Commission ne prononce pas le mot. Pourtant, c'est en C130, qu'on a rapatrié les Belges, rescapés des massacres ou des émeutes de Stanleyville, Kolwezi, Kinshasa ou Kigali. Le C130, cet honnête avion de transport de l'armée, non pressurisé, lent, bruyant, au confort rudimentaire, mais fiable. Ce qui est bon pour les Belges, est intolérable pour les étrangers illégaux. Un charter, alors? Jamais, dit la Commission, l'opinion publique ne le tolérerait pas. L'opinion publique, c'est qui? La Ligue des Droits de l'Homme? Le reste ne roule pas sur l'or et prend des charters, pour les congés payés. Encore une fois, ce qui est assez bon pour nous ne l'est pas pour nos hôtes malgré nous. La solution de la Commission? Un avion d'affaires, ni plus ni moins.

A défaut de public, opine la Commssion, les cris s'apaiseraient. Evidemment. Le Ministre de l'Intérieur a aussitôt fait savoir perfidement qu'un rapatriement vers Lagos coûtait 100.000 frs, mais coûterait 13 fois plus en avion privé. Faites le compte: selon les chiffres officiels, 90% des 36.000 réfugiés attendus en 1999 sont de faux réfugiés. Multipliez par 1.300.000 francs. Autant fermer les frontières, mais à cela personne n'a songé. Et ce n'est pas tout: la Commission recommande de gâter un peu, les rapatriés qui renonceraient, réflexion faite, à la rébellion. De l'argent de poche, pour les premières dépenses au pays. Un trousseau complet: sac de voyage, tenue de voyage, chaussures adéquates. Et quelques "souvenirs". Dentelle de Bruxelles ou Atomium miniature? Et une somme rondelette, qui devrait les défrayer, à 50% au moins, des frais exposés pour atteindre la Belgique. Non, je ne me moque pas de vous. Ce sont les politiciens qui se moquent de vous, en page 20 du Rapport, mais les Belges ne saisissent pas vite!

Pauvre Belgique! Dites-moi, est-ce que quelqu'un (à part le Ministre de l'Intérieur), a gardé un peu de jugeote? Dites-moi, y a-t-il encore... un pilote dans l'avion?

source: Rapport final de la Commission chargée de l'évaluation des instructions en matière d'éloignement, présenté au Ministre de l'Intérieur le 21 janvier 1999

(Bastion n°31 de février 1999)

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