Souvenir des hommes et mémoire des peuples.
Le philosophe Friedrich Nietzsche a écrit que : « lavenir appartenait au peuple qui a la mémoire la plus longue. » Cette affirmation prend à la lumière du prêt-à-penser actuel, une dimension nouvelle. Elle mérite par son caractère prophétique dêtre commentée.
Lorsquon y réfléchit, il semble aller de soi quen labsence de passé il ny a pas davenir, car lon est alors plongé dans un éternel présent où les événements ne se succèdent plus, mais sagglomèrent dans un chaos dépourvu de sens. Ce monde de linstant sans hiérarchie du temps, soppose à celui où sépanouit la conscience historique des individus, elle-même forgée par les grands moments de lhistoire, par les souvenirs accumulés au sein des communautés naturelles, par le rythme des saisons et des fêtes sacrées.
Or, il est manifeste que les castes politiques et médiatiques des social-démocraties, tentent de vider les nations européennes de leur mémoire collective. Elles veulent par ce moyen, créer des sociétés atemporelles, qui rabaisseront leurs « sujets » à une masse atomisée dépourvue de repères, de pôles de résistance. En cela, elles rejoignent une fois de plus lun des buts naguère poursuivis par le communisme : « labolition de lhistoire » que les élites gouvernantes considèrent comme une étape préalable à la formation de sociétés mondialisées, déracinées, sur lesquelles elles régneront sans partage.
La démarche répond à une logique implacable. Comment en effet, faire accepter à une nation, « limportation massive » dethnies venues des quatre coins du monde sans faire oublier préalablement ses origines ?
Pour les mondialistes la mémoire des peuples doit dautant plus être abolie, quelle soppose directement à leur utopie. Cest la raison pour laquelle lon assiste périodiquement à des attaques concentrées sur tel ou tel épisode fondateur de lhistoire des européens. En ce moment, elles semblent particulièrement dirigées contre la civilisation celtique, les Gaulois (en France, ils ont été bannis des programmes scolaires en tant quancêtres de la Nation), lépopée des croisades, lhistoire de lEglise, laventure coloniale, la première guerre mondiale
Pourtant, il nest pas indifférent que les Belges, comme les Français, aient eu un passé de grandeur dans la fédération gauloise, luttant contre lenvahisseur romain. Que la ville de Tournai, fut une cité franque dont le roi était un certain Clovis. Non, il nest pas sans conséquence que le fils de Pépin de Herstal fut Charles Martel, celui-là même qui repoussa linvasion arabe à Poitiers en 733.
Nen déplaise à tous les falsificateurs de lhistoire, lEurope nest devenue une terre dimmigration massive que depuis moins de quarante ans. Jusquà cette période, cest la stabilité qui prévalait.
Même si elle a connu auparavant des mouvements de population, quelquefois dampleur, il sagissait toujours d indo-européens, partageant des racines, des croyances communes. Des peuples à ce point semblables, que les historiens de lempire romain parvenaient difficilement à les distinguer entre eux. Assimiler ces mouvements aux flux actuels en provenance dAfrique et dAsie, nest que lune de ces supercheries intellectuelles dont sont coutumiers les thuriféraires du mondialisme dissolvant.
Pour reprendre une formule passée de mode, les Belges comme les Français nen peuvent mais ils doivent bien à leurs ancêtres Eburons, Trévires, Nerviens, Bellovaques, et autres Senons leur façon dêtre, de penser, de parler et dapprécier le monde dans sa diversité. En perdant le fil de leur histoire, les Européens perdront leur identité et leur génie, qui sont les fondements de leur civilisation.
Lhédonisme mercantiliste, le village planétaire, le règne de linstant, encouragés par les médias et les tenants du pouvoir, auront également de graves conséquences sociales et comportementales. De larges couches de la population seront (ou sont déjà) dans lincapacité de se remémorer des événements importants de leur vie intellectuelle et collective, de les situer avec précision dans une chronologie, de les juger. Elles seront placées dans un état dhébétude psychologique, propice à lexpansion du mondialisme rêvé par les élites occidentales. Elles seront surtout le jouet de toutes les formes de manipulation dun pouvoir devenu total.
Que lon songe par exemple à la place exorbitante prise par certains événements dans le champ social européen : la coupe du monde de football, les égarements conjugaux du président Clinton, la retraite de Michael Jordan, les octuplés américains, la candidature de Daniel Cohn-Bendit aux élections européennes, et lon aura une idée précise de ce que signifie le triomphe de léphémère et des thèmes sur lesquels on concentre lattention des citoyens. Il est vrai que bien des questions doivent être passées sous silence : la montée inexorable de la violence chez les « jeunes », si peu conforme à lidéologie officielle, labandon coupable des souverainetés nationales, notamment en matière dimmigration, avec la ratification du traité dAmsterdam.
Que lon y prenne garde, car le souvenir est lune des bases de léchange interindividuel et de lévolution sociale. La mémoire individuelle comme celle des groupes permet en effet déviter les erreurs du passé et de retenir dans le corps social les comportements efficients qui le font progresser.
Ce nest sans doute pas par hasard que les actes héroïques, les vertus exceptionelles, les grandes découvertes, les uvres de talent imprègnent avec tant de force la mémoire des nations: ne leur donnent-elles pas forme et vie ?
Le rejet du passé conduit à la négation des ancêtres, des « patres », en un mot de la patrie. Une nation sans passé, sera sans récit, sans rien à dire, sans morale, sans fête ni joie. Elle sera par conséquent sans avenir.
Charles Magne
(Bastion n°31 de février 1999)