Home, Sweet Home (fable politiquement incorrecte)
Vous êtes tranquillement chez vous, avec votre famille, dans votre belle maison que vous avez chèrement acquise au prix de sacrifices, et qu'ensuite vous avez amoureusement transformée, année par année, pour la rendre toujours plus confortable et plus jolie.Vous en êtes fier: c'est la vôtre et vous l'avez marquée de votre empreinte; vous lui avez donné une âme. C'est votre petit nid, pour vous et votre famille. Vous savez qu'il en existe de plus grandes et de plus belles, mais quand même, vous n'en voudriez pas d'autre que celle-là, car c'est la vôtre; elle a entendu les premiers mots de vos enfants et les a vus faire leurs premiers pas; il vous arrive de songer que c'est à eux que la maison ira, quand vous aurez fait votre temps, et cette pensée vous réconforte. Parfois votre maison a bercé les derniers moments de vos parents, et la maison est imprégnée aussi de leur cher souvenir. Comme cette maison en aurait, des choses à dire, si elle pouvait parler! Vous l'aimez, votre maison, bien sûr. Quoi de plus naturel? Quelquefois, vous pensez à ceux qui n'ont pas votre chance et vous les plaignez. Mais cela vous fait mieux mesurer votre privilège et vous vous lovez douillettement dans un fauteuil.
Soudain on sonne... Qui est-ce ? Toute la famille va voir anxieusement. Un couple, l'air désemparé; ils sont pauvrement vêtus, ont l'air d'avoir froid - Si on les faisait entrer une minute, ces pauvres gens? suggère la fille aînée. - Oui, offrons-leur quelque chose à manger, ajoute maman. Le fils et son père sont moins décidés; ils se méfient. Mais ce que femme veut... Alors les deux inconnus sont introduits dans la maison et on leur sert une collation. Ils ont l'air satisfaits, ils sourient et ce sourire récompense leurs hôtes de leur bonne action. - Et bien, dit papa, comme cela vous aurez des forces pour reprendre la route. - Votre maison est bien belle et bien agréable, sort alors l'homme en souriant comme s'il n'avait rien entendu. Comme vous êtes si bons, seriez vous assez gentils pour nous permettre de passer la nuit chez vous ? Les quatre membres de la famille se regardent en pensant: au moins, celui-là, il ne manque pas d'audace! La fille fixe son père avec un regard qui le supplie d'accepter. La maman dit au père: - Pour une nuit, ne pourrions-nous dépanner ces pauvres gens? Et papa, très réticent, mais n'osant pas sembler insensible à la détresse d'autrui, accepte...
Le lendemain, le couple hébergé paraît tout ragaillardi. L'homme exprime leur satisfaction: - Vous avez une maison magnifique et votre nourriture est très bonne. J'ai rêvé que j'y faisais venir ma soeur et ses enfants, et aussi mes parents; votre maison est bien assez grande; comment est-il permis que vous n'y viviez qu'à quatre ? Après y avoir passé la nuit, je souhaite y rester. Dans deux mois ma femme aura un bébé et vous comprendrez qu'il lui faut une habitation convenable comme celle-ci...
A ce stade de l'histoire, si vous estimez normal que le père mette ses hôtes à la porte de chez lui, vous êtes sans conteste pétri de HAINE, et vous êtes ANTI-DEMOCRATE.
I. L.
(Bastion n°23 d' avril 1998)